Le Père Lachaise. Un lieu de mémoire construit par un processus de patrimonialisation

Résumé du document

D'une part l'idéologie républicaine, fille des lumières et de la révolution, crée le sentiment et la conscience nationaux, et de fait la nécessité de construire une identité propre à la patrie en s'attachant aussi bien au passé qu'au présent, notamment à travers des grands hommes passés et contemporains. La France est considérée comme une et indivisible. D'autre part, le Romantisme connaît une grande effervescence. Là également, on y décèle une recherche de soi et du passé. Les Romantiques, en proie à des émotions extrêmes et contradictoires, paraissent ancrer dans une forme d'adolescence, constituée par une recherche identitaire et une découverte du monde. Et si le dix-neuvième siècle était celui de la conscience de soi, le moment de la crise d'adolescence de la France ?...

Extraits

[...] Peu à peu, le Père Lachaise devient un lieu recherché par les curieux, nous assistons à la mise en place du tourisme funéraire. Les premiers guides datent en fait des toutes premières années du cimetière. Dès 1808, Antoine Caillot se trouve ainsi l'auteur d'un Voyage pittoresque et sentimental au champ du repos sous Montmartre et à la maison de campagne du Père Lachaise à Mont-Louis Mise en place d'une politique marketing et développement du cimetière De plus, tout un aspect marketing et publicitaire commence à se développer pour assurer le succès du lieu. [...]

[...] La création même du Père Lachaise résulte ainsi de la fermeture de cimetières intramuros découlant de leur insalubrité et de la nouvelle exigence positiviste en matière hygiénique. Le contexte historique est par ailleurs celui de la baisse continuelle du pouvoir de l'Eglise, au profit de l'Etat républicain. C'est ainsi que, peu à peu, l'Eglise se voit retirer la gestion des cimetières au profit des communes. Sous Napoléon, Nicolas Frochot, préfet de la Seine, prévoit dès mars 1801 la création de trois grands cimetières au nord, au sud et à l'est de Paris. [...]

[...] La seconde cause est rattachée à la manie des victoires que connut la France. Sur ce dernier point, tout changea selon Richard, avec les défaites contre les Russes, en 1814. Dès lors, la population se prend d'une passion romantique pour le cimetière. Se conjuguèrent aux morts issus des défaites militaires les obsèques spectaculaires en 1813 de Grétry et de l'Abbé Delille qui marquèrent fortement les esprits, entraînant un déplacement massif de la foule. Les malheurs de l'invasion, la perte du Cygne français (l'Abbé Delille), celle de l'immortel Grétry, les morts tragiques et effrayantes de Labédoyère et du maréchal Ney tournèrent insensiblement les esprits vers les idées mélancoliques. [...]

[...] Le second phénomène, constituant une réponse au phénomène précédent, est le souci de rationalité et d'efficacité des aménageurs. Il faut ainsi garder en tête que les architectes du dix-neuvième siècle se trouvent peu sensibles au Romantisme affectant le cimetière, leur perspective étant plutôt de l'ordre de l'utilitarisme. Le style romantique n'est pour eux que désordre et anarchie, à l'opposé de leurs idéaux d'ordre. Voici par exemple ce qu'on peut trouver dans le Traité d'architecture, datant de 1870, de L.Reynaud : S'est-on préoccupé comme il convenait de la piété envers les morts et du respect envers les tombeaux ? [...]

[...] Le passé est reconstruit en fonction du goût du jour. Si les prémisses de la patrimonialisation, parallèle à un refus de l'oubli, se trouvent au dix-neuvième siècle, nous n'assistons pas encore à une obsession de conservation telle que nous la voyons se développer depuis une trentaine d'années. Aucune politique sérieuse n'est véritablement entreprise. Au contraire, songeons qu'en 1860, Haussmann n'hésite pas à détruire le Paris du Moyen-Age pour tout reconstruire, dans ce qu'aujourd'hui nous considérons comme faisant partie du patrimoine parisien (ne s'exalte-t-on pas devant le style Haussmannien Pourtant, imaginons les cris d'horreur et d'indignation qu'aurait suscités de nos jours une telle politique de destruction du passé. [...]