Apparu en même temps que le Pop Art, le Nouveau Réalisme a souvent été taxé d'être du Pop Art français. Ce verdict sous-entendrait donc qu'il y a un mouvement artistique international qui contiendrait des sous-catégories propres à une localité. On ne considère pourtant pas le Pop Art britannique et celui d'Amérique comme deux mouvements indépendants. Et l'on considère bien comme du Pop Art certaines oeuvres d'Émile Salkin (Belgique), ou d'Eduardo Arroyo et de Wolf Vostel (Espagne). Il reste alors à penser que la France n'aurait pas eu son Pop Art, mais qu'elle aurait eu un mouvement parallèle qui se distinguerait par des caractéristiques qui lui sont propres, mais qui comporterait suffisamment de similitudes avec la pratique américaine pour y être assimilé.
Il apparaît tout à fait légitime de se demander si le Nouveau Réalisme appartient ou non au mouvement Pop Art. Mais le travail que je me propose de traiter va considérer comme acquis que le Nouveau Réalisme est suffisamment proche du pop pour lui ressembler et je vais donc explorer les particularités de la production française pour comprendre ce qui la distingue de la production new-yorkaise (ou britannique dans une moindre mesure) et essayer d'expliquer comment ces deux mouvements ? qui s'engageaient dans un propos similaire ? ont fini par prendre deux directions distinctes.
[...] Il est vrai qu'à ses débuts, le Pop Art partait d'une dynamique de constat et de dénonciation, tout comme Dada l'avait fait. Effectivement, selon les mots de Tzara, « le Dadaïsme n'a jamais reposé sur aucune théorie et n'a jamais été qu'une protestation ». Mais, malgré sa position critique, le Pop Art va finir par se trouver dans une situation d'approbation. Nous allons le voir plus tard, mais c'est bien dans leur façon d'appréhender ce qu'ils critiquent que les deux mouvements vont prendre deux chemins séparés. Dès les années 1910, Duchamp (dont tout le monde se réclame) trouve dans le quotidien des objets qu'il s'amuse à élever au noble rang d'oeuvre d'art (ou abaisse l'oeuvre au vil rang d'objet, c'est selon). Partant de là, le Pop Art va représenter le quotidien de sa société de consommation en en déséquilibrant toutes les valeurs hiérarchisées pour les mettre sur un plan unique.
[...] Le Dadaïsme était né d'une révolte contre l'ordre établi qui n'avait su empêcher l'humain de se retourner contre lui-même. Pour signifier sa désapprobation, il détruisait l'ordre établi. Les Nouveaux Réalistes vont poursuivre le thème de la destruction à travers les oeuvres d'Arman ? qui détruit des instruments de musique ?, de Tinguely ? qui propose des machines autodestructrices ?, de Niki de Saint Phalle ? qui tire au pistolet sur des figures emblématiques telles que l'amant, le monstre ou le père ?, ou de César, qui compresse des objets comme on traite un déchet volumineux.
À l'instar du Ready made, qui interrompt l'usage de l'objet pour lui donner une nouvelle fonction, les empaquetages de Christo dé-fonctionnalisent des objets utiles. L'objet est sacralisé par son élévation au rang d'oeuvre d'art, mais il perd son sens en tant que chose utile (...)
[...] Quand Manzoni vend des conserves de Merde d'artiste, on n'est plus dans la présentation, mais dans l'exposition brute d'un élément ignominieux et on comprend qu'il repousse les limites de la bienséance. À l'instar de Duchamp, il affirme la primauté de l'appréhension intellectuelle sur le plaisir rétinal. On pourrait dire que là où le Pop Art sublime de vils signifiés en les rendant conformes aux exigences plastiques de la société de communication (même avec une certaine ironie), le Nouveau Réalisme expose un signifié désacralisé qui n'a pour seul intermédiaire que les (res)sentiments de son percepteur. [...]
[...] Les pères du Pop Art et du Nouveau Réalisme ont tous été des enfants pendant une autre période de crise : la Seconde Guerre mondiale. Au moment où ces mouvements s'affirment, le monde occidental est en pleine reconstruction. Or, les États-Unis profitent de cette situation en exportant leur way of life à une France qui a choisi ce modèle économique. En outre, en ce qui concerne la culture, la France a perdu sa mainmise sur le monde de l'art (et ceci va se confirmer avec l'importance que prendra justement le Pop face au Nouveau Réalisme). [...]
[...] Le projet d'un autre Pop Art s'était mis en place à la boutique de Ben (rue Tonduti de l'Escarène). Son échec ne laisse à l'histoire, comme alternative française au Pop américain, que l'aventure du Nouveau Réalisme. La perméabilité initiale entre les deux mouvements s'estompe avec la performativité de leurs dénominations respectives. La volonté de distinguer cette attitude internationale spontanée en deux mouvements l'a appauvrie. Le Nouveau Réalisme a perdu le sens du profit et le Pop Art son engagement contestataire. [...]
[...] Et on trouve déjà une référence explicite à la société de publicité et de consommation dans une réclame collée de Coca Cola emblème économique de l'exportation culturelle des USA à travers l'Occident. Warhol dira d'ailleurs que le Coca Cola met tout le monde d'accord et que celui du nanti est le même que celui du disetteux : Aucune somme d'argent au monde ne peut procurer un meilleur Coca que celui du clochard au coin de la rue. Tous les Coca sont pareils, et tous les Coca sont bons. [...]
[...] Le Nouveau Réalisme et le Pop Art ont en commun un certain penchant pour le quotidien, le banal, l'humour et la dérision. Aussi peut-il sembler qu'à leurs commencements, les deux mouvements poursuivaient la quête Dadaïste en cherchant à proposer dans leurs œuvres une fraîcheur infantile (l'innocence, la naïveté, le questionnement ) et un retour à des valeurs authentiques. Nos Dadaïstes veulent retrouver la fraîcheur, le neuf, le primitif[1] Il est vrai qu'à ses débuts, le Pop Art partait d'une dynamique de constat et de dénonciation, tout comme Dada l'avait fait. [...]
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