Difficile de présenter son travail de manière globale sans en affadir la richesse et en réduire la portée : inscrit dans l'intime, se nourrissant des souvenirs, des drames et des démons de l'enfance, des peurs profondes comme des désirs les plus élémentaires, le travail de Louise Bourgeois procède par explorations isotropes, créations protéiformes, renouvellements perpétuels de formes et de signes. Ses sculptures et ses installations exploitent et combinent des matériaux aussi divers que le bois, le marbre, le bronze, le caoutchouc ou le tissu, et cette diversité reflète bien les options de sa production artistique : il s'agit de "trouver des formes" qui soient susceptibles de métaphoriser des états psychiques, émotionnels, intellectuels. Faire l'inventaire des différentes directions prises par l'artiste prend le risque d'en faire un panorama superficiel et diffus. Il nous a semblé plus intéressant d'explorer un paramètre récurrent dans son travail touchant à l'architecture, au sens premier de "structure bâtie", de "principe de construction" : les lieux clos que sont les maisons, femmes-maisons, outres, vitrines, cages, chambres et cellules ponctuent en effet de manière obsessive l'oeuvre de Louise bourgeois et témoignent de cette recherche incessante d'une "enveloppe" psychique capable à la fois de contenir des indices fétiches, de préserver la mémoire, tout en créant une mise en tension entre l'intérieur et l'extérieur et un jeu entre proximité et distance.
[...] Ces deux espaces circulaires sont délimités par des lambris récupérés. Ils ne sont pas totalement clos, mais l'espace d'ouverture est assez étroit pour assurer l'intimité du lieu et son mystère : le spectateur hésite à entrer. A l'intérieur, baignant dans une lumière rouge, deux scènes distinctes où est scénographiée de manière onirique la même histoire singulière et universelle à la fois, tissée de souvenirs, phantasmes, désirs et terreurs personnelles. La chambre est un lieu clos dans un autre, le cœur de la maison, de l'intime dans l'intime. [...]
[...] Les œuvres suivantes témoignent d'une exploration de l'anatomie, de l'intériorité, de la sexualité et de ses ambivalences. Les quatre version d'une sculpture en bronze, regroupées sous le titre de Janus , du nom de la divinité romaine aux deux visages opposés, l'un tourné vers le passé, l'autre vers le futur, évoquent la dualité et la complémentarité, en même temps que le tension entre les contraires, notre nature bipolaire. Emblème de cette époque, la sculpture Fillette joue ouvertement sur tous les sens affectés au pénis, celui du père de l'artiste fillette entre autres, mais en y intégrant également des valeurs féminines : il devient poupée manipulable comme l'atteste la fameuse photographie de Mapplethorpe de 1982 où Louise Bourgeois porte sa sculpture sous le bras. [...]
[...] A ce titre, l'on pourrait avancer que l'aspect protéiforme de son travail correspond aux multiples voies que l'artiste emprunte pour sonder, puis fonder son propre univers existentialiste. Très marquée par l'œuvre de Jean-Paul Sartre (notamment L'Existentialisme est un humanisme - 1946 - et Les Mots - 1964) elle affirme Je ne suis pas surréaliste, je suis existentialiste soulignant la place prépondérante que prend son expérience personnelle dans sa production artistique et son évolution, et du coup le rôle que son art peut jouer dans sa vie : celui d'une catharsis, d'une élucidation, urgente. [...]
[...] Ou bien encore les trois stades de développement d'une même personne ? Les vêtements comme signe de l'individu, du corps, marque identitaire, occupent une large part dans le travail de ces dernières années. Résidus d'une vie, marques intimes, relique sensorielle ravivant l'odeur, le toucher, le vécu de ceux qui les ont portés, le vêtement est aussi une enveloppe protectrice, une sorte de matrice. Il porte en lui également le temps, tous ces moments où le vêtement a été choisi, porté. [...]
[...] Louise Bourgeois dit dans un entretien avec Jerry Gorovoy en 1993 : J'adore les espaces claustrophobiques. Au moins, on est conscient de ses limites. Qu'ils renvoient à la maternité, la féminité, l'inconscient, l'événement autobiographique ou le rêve, les lieux clos réaffirment l'option artistique majeure de Louise Bourgeois selon laquelle l'art et la vie se confondent : La chenille sort la soie de sa bouche, construit son cocon et meurt quand il est terminé. Le cocon a épuisé l'animal. Je suis le cocon. Je n'ai pas de moi. Je suis mon œuvre. [...]
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