Londe : le lien unissant la photographie à la science dans le contexte particulier des recherches sur le mouvement

Résumé du document

A une époque où les recherches sur la photographie ne cessent d'améliorer la technique et de donner naissance à de nouvelles manipulations, Albert Londe s'engage dans la voie de l'image scientifique avec une extrême maîtrise de son art.
Ses photographies attirent toujours le spectateur par leur qualité, leur originalité mais parfois aussi par la cruauté de la vie qui y est exposée. Tenant une place particulière dans son travail, ses chronophotographies analytiques du mouvement semblent donner raison à Zénon d'Elée: "le mouvement est une succession d'immobilités, mais sa décomposition va à l'infini..."
Pourtant, sa démarche n'y est pas celle d'un médecin mais au contraire celle d'un plasticien. Albert Londe l'illustre avec "Lancer de ballon avec le pied", une chronophotographie à douze objectifs, tirage sur papier datant des environs de 1895.
Aussi, quel est le véritable rapport de Londe à la science et quelle est l'idée qu'il se fait de l'art photographique?
L'étude préalable de l'une de ses oeuvres permettra d'appréhender le lien unissant la photographie à la science dans le contexte particulier des recherches sur le mouvement.

Extraits

[...] Ce dernier, avec un procédé de 12 appareils à obturateur à fente installé le long d'une piste d'expérience, engage la photographie dans une voie d'étude systématique du mouvement. La commande de ces travaux en revient à Lelan Stanford, propriétaire d'une écurie de course, qui fit appel à Muybridge à Palo Alto pour contester une hypothèse de Marey. Le processus de décomposition de Muybridge consiste en une juxtaposition d'instantanés multipliant les attitudes, rangés en séquence chronologique (Planche n°408 de Animal locomotion). [...]

[...] Dans les arts, la photographie a déjà rendu des services réels et certains maîtres l'acceptent ouvertement. C'est par l'instantanéité que s'exerce cette influence puisque fixant en une image authentique des phénomènes de peu de durée. Dans l'antiquité jusqu'à nos jours, les artistes ont maintes fois représenté le mouvement même dans ses actions les plus rapides comme le combat et la course. Dans l'infinie variété des attitudes que montre la chronophotographie, il en est certaines que les artistes peuvent accepter sans enfreindre les lois de l'esthétique. [...]

[...] Sa technique photographique n'en est qu'interprétation ou amélioration. Il adopte la méthode de Muybridge en, d'une certaine manière, le comprimant dans une seule chambre noire, avec neuf objectifs disposés en couronne donnant pour résultat des images de 3x3 cm sur une plaque fixe de 13x18cm. Un seul disque tournant muni d'une fenêtre opère les désobturassions successives, le tout régulé par un mécanisme d'horlogerie. Cet appareil, conçu probablement en 1883, permet d'enregistrer des mouvements pathologiques avec une fréquence d'images modulable à volonté mais limitée à neuf épreuves circulaires. [...]

[...] Le problème technique principal a été celui de réduire le temps de pose au maximum afin d'approcher la mythique instantanéité de l'image, susceptible de révéler la structure même d'un corps en mouvement. Le grand paradoxe est que l'image instantanée fige la structure en mouvement en une phase de ce dernier et ne révèle pas l'ensemble de l'évolution du mouvement. Il n'empêche que vers 1880, le photographe découvre un monde de formes insoupçonnées. Durant quatre décennies, de 1840 à 1880, l'insuffisante sensibilité des surfaces photographiques limita la vitesse de saisie. [...]

[...] "Lancer de ballon avec le pied" mais aussi "Le forgeron" ou "Traction de l'avant-bras avec poids" en sont des exemples parmi beaucoup. Le passage du monde médical au monde artistique permet à Londe de s'affranchir des contraintes des protocoles scientifiques et médicaux. En 1903, il publie ses Chronophotographies documentaires à usage des artistes. Il opère un renversement des débats: la science ne doit pas commander à l'art mais être à son service. Pour lui, la science propose, l'artiste dispose. Il ne s'agit plus d'un simple savoir-faire mais bien de créativité. [...]