Le film de Frears était pour les producteurs américains de la Warner Bros, une volonté de renouveler le film "historique" ou "en costume" ; également, avec le choix de Stephen Frears comme metteur en scène, le projet d'avoir un regard lucide sur la société d'une époque, regard critique sur une caste sociale, vivant en vase clos et vouée à sa perte car inconsciente de sa superficialité et de ses limites.
L'adaptation de l'oeuvre instaurait, outre la critique des sentiments faite par Laclos, un projet plus moderne avec plus de distance, la critique d'une époque, faite dans le non-dit, par sa seule peinture (...)
[...] Les Liaisons dangereuses, du livre au film, Laclos, Frears deux œuvres autonomes : Ainsi que nous l'avons vu dans le cours d'introduction, l'œuvre de Laclos se donne pour à la fois un roman c'est-à-dire, une fiction, avec la connotation bien spécifique que le terme de roman possède au XVIIIème siècle (roman dévalué par rapport aux autres genres littéraires) et une transcription de lettres recueil de lettres authentiques réunies pour former un ouvrage lisible à visée morale ; la volonté de Laclos est nette : il y a une double finalité, faire lire, distraire, plaire avec un objet artistique ; Il faut que le lecteur identifie la fiction pour avoir conscience de sa valeur ; il faut aussi qu'il adhère à cette fiction se la donne pour authentique, le temps de la lecture, suffisamment vraie pour que la finalité de morale puisse s'imposer. [...]
[...] Le film de Frears était pour les producteurs américains de la Warner Bros une volonté de renouveler le film historique ou en costume ; également, avec le choix de Stephen Frears comme metteur en scène, le projet d'avoir un regard lucide sur la société d'une époque, regard critique sur une caste sociale , vivant en vase clos et vouée à sa perte car inconsciente de sa superficialité et de ses limites ; l'adaptation de l'œuvre instaurait, outre la critique des sentiments faite par Laclos, un projet plus moderne avec plus de distance, la critique d'une époque, faite dans le non-dit, par sa seule peinture ; Frears s'associe avec Christopher Hampton qui a déjà tiré de l'œuvre une transcription théâtrale en 1985 ; et privilégie un film plus narratif ; Dés lors, il y a deux œuvres autonomes, dont il est intéressant de voir comment elles s'organisent, l'une et l'autre pour raconter la même histoire. [...]
[...] Il y a donc parti pris pour traduire en dominant l'œuvre qui au contraire, s'ébauche peu à peu, de lettres en lettres ; Mais, volonté de rester fidèle à l'esprit de l'œuvre ; Le visage ironique et complaisant devant son reflet dans le miroir, de la marquise de Merteuil évoque par sa douceur dangereuse, la finesse cruelle de ses lettres ; le visage froid, cruel, de Valmont avec un regard dur, restitue son ennui, son mépris des sentiments ; Dés le début du film, se pose une question essentielle : comment restituer le style de Laclos, ce langage parfait, léger , fait de subtile ironie, de politesse exquise caractéristique de cette caste sociale ; Christopher Hampton le résout, partiellement en reprenant les termes mêmes des lettres les plus célèbres aussi souvent que possible ; Mais c'est le rythme même du film, le tempo des scènes, la gestuelle des personnages (notamment l'agilité de Valmont qui manie ses grandes jambes avec prestesse et élégance) qui va par transposition restituer le style de Laclos et le ton des lettres ; Nous avons désormais les choix de Frears pour sa narration filmique : - l'être et le paraître - le théâtre (avec la récurrence des scènes à l'opéra, banales dans l'œuvre écrite, dominantes ici pour leur symbolique avec un jeu dans le jeu ; les entretiens avec les jeux d'expression ; le jeu des valets qui introduisent les personnages ; - la manipulation : fréquence des têtes à tête en gros plan, choix du cadrage : un personnage filmé de face en gros plan, son interlocuteur filmé de trois quart dos, comme si le spectateur était derrière son épaule ; - la liaison : tout le film est fait de conversations - la liaison dangereuse : majorité de conversations où le personnage est manipulé - l'utilisation des symboles, des images, des objets : le miroir, l'épée, le livre, le châle, le choix des costumes et de leur couleur enfin et surtout le jeu des acteurs qui insiste avec une grande unité sur des thèmes ou sentiments récurrents : la domination, la séduction, l'émotion, la dissimulation, le jeu avec les codes vestimentaires (éventail, livre, cartes de jeu, lettres) les règles du savoir vivre, les gestes mesurés et peu naturels ; Ainsi, le film fait sa propre lecture de l'œuvre, lecture parallèle ; Adopte-t-il le même projet ? [...]
[...] Une structure en abyme : Le pacte de lecture fait des Liaisons dangereuses une composition en abyme : L'écrivain se dissimule derrière le scripteur qui dévoile une conscience ; Le lecteur en prend connaissance par la lecture, et se fait ainsi voyeur de cette conscience, de ses volontés, doutes égarements, soubresauts ; il juge et analyse les fausses affirmations, les mensonges à soi-même, les vanités ; Cette plongée dans la conscience des personnages et la lucidité du lecteur sont toute la modernité de cette œuvre et une audacieuse stratégie narrative ; Le film ne pouvait avoir, pour d'évidentes raisons de technique filmique et de possible lassitude dans le spectacle (regarder et entendre le scripteur écrire sa lettre en la lisant) la même stratégie narrative ; pourtant, en dépit des différences, un même esprit se dégage de l'œuvre filmique. [...]
[...] Choix des thèmes centraux et construction d'une stratégie filmique : Il y a dés la première séquence restée célèbre, un parti pris de Frears : Le rappel de l'épistolaire avec le titre du film qui apparaît dans une lettre que l'on décachète, et en cut simple juxtaposition de plans) la théâtrale double préparation à paraître en société de Merteuil et Valmont, filmée de façon juxtaposée, en silence ; séquence saisissante par sa sécheresse, sa crudité ( détails grotesques de la perruque poudrée, du corset ajusté comme une armure) des expressions froides et concentrées des acteurs ; cette séquence n'est pas sans évoquer la séquence du Dom Giovanni de Joseph Losey dans laquelle au début du film tous les personnages convergent vers le rideau pour jouer l'opéra ; Théâtralité revendiquée et affirmée, insincérité, dissimulation, jeu de l'être et du paraître, et jeu cruel des consciences qui vont en pervertir d'autres, c'est le 1er thème d'élection de Frears. [...]
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