Lorsqu'il naquit le 4 octobre 1814 dans le village de Gruchy, non loin de Cherbourg, peu de choses semblaient prédestiner Jean-François Millet à une vie d'artiste. Issu d'une famille paysanne modeste mais relativement instruite, il eut sans doute jusqu'à ce qu'il commence sa formation artistique une voie tracée vers les métiers de la terre. Depuis ses premières toiles jusqu'à l'année 1849, date de son emménagement à Barbizon, la production de l'artiste sembla d'ailleurs confirmer un éloignement du monde rural et de ses racines paysannes, l'homme préférant la représentation de thèmes classiques ou de pastiches de la fin du XVIIIème siècle à celle des paysages et des scènes de genre campagnardes qui établirent, plus tard, sa renommée. De ce point de vue, l'année 1851 représente un tournant dans la vie de l'artiste : on constate en effet à cette époque la disparition, dans les titres de ses œuvres des classiques termes de Nymphes, Amours ou Faunes : le peintre ne se consacrera désormais plus qu'à représenter le monde rural. Si les raisons qui expliquent ce changement semblent être d'ordre psychologique, ainsi que l'avance Lucien Lepoittevin, il est plus compliqué de comprendre ce que chercha soudainement le peintre dans la représentation du monde paysan et des paysans eux-mêmes.
D'un côté qualifié de « peintre socialiste » par les tenants du courant conservateurs, de l'autre sévèrement critiqué par un Emile Zola pourtant réputé pour son empathie vis-à-vis des milieux populaires, comment cerner la démarche de Jean-François Millet ? Plus précisément, il convient de se demander comment l'artiste utilisa le personnage du paysan dans son œuvre.
Il est nécessaire de remarquer dans un premier temps que l'évocation de la paysannerie fut souvent pour cet artiste une occasion de représenter l'effort et le travail. Il convient également de relever dans un second temps que la représentation du paysan constitua pour Millet un prétexte pour signifier une profondeur que seul cet artiste associa à pareils thèmes. Enfin, dans un troisième temps, nous verrons que la figure du paysan représente avant tout le lien à la terre dans l'œuvre du peintre : on ne peut en effet dissocier chez Millet les personnages des paysages dans lesquels ils s'inscrivent.
[...] Le spectateur a finalement presque l'impression qu'elles ne pourront pas se relever, vouées à cette posture autant que la paille ne peut se défaire de ces tas. En ce sens, il est également à noter qu'aucune de leurs têtes (même celle de la femme la plus redressée) ne dépasse au-delà la ligne d'horizon qui constitue en cela une sorte de plafond naturel bien trop bas pour qu'elles puissent adopter une position confortable. L'utilisation de l'environnement immédiat par Millet afin de suggérer la pénibilité se repère également sur L'homme à la houe, mais d'une manière différente. [...]
[...] de Monza, Paris - LEPOITTEVIN (Lucien), Jean-François Millet : L'ambiguïté de l'image, L. Laget, Paris - ROUX (Nathalie), Jean-François Millet : Voyages en Auvergne et en Bourbonnais 1866-1868, Skira, Milan 2002 - Salle des fêtes Barbizon, Barbizon au temps de Jean-François Millet 1849-1875, Impr. [...]
[...] Cette analogie se confirme lorsqu'on analyse la posture de son corps (sans tenir compte ni de son activité ni de ses traits propres) : si les nuages qui l'englobent sur toute la partie supérieure s'étendaient jusqu'à entourer ses jambes on jurerait presque de voir ici la posture d'une Vierge en assomption au travers des nuées. Il serait cependant faux d'affirmer que Jean-François Millet n'utilisa la figure du paysan que pour produire une peinture dérangeante soit par l'éprouvant labeur qu'elle montrait soit par l'inhabituelle profondeur qu'elle suggérait. Cet artiste fut l'un des fondateurs puis l'un des tenants de l'école de Barbizon pendant vingt-cinq années, jusqu'à sa mort en 1875. Or cette école est avant tout celle du paysage. [...]
[...] Néanmoins, la volonté de Millet de faire transparaître l'effort et le travail dans ses représentations de paysans ne se repère pas exclusivement dans l'analyse de la posture ou du traitement des corps. La richesse des œuvres de ce peintre se situe en effet également dans sa capacité à utiliser la représentation de l'environnement direct des personnages (lumière, paysage, gamme chromatique) pour mieux suggérer la pénibilité de leurs tâches. Ainsi dans Les glaneuses l'analogie est-elle flagrante entre la forme circulaire de leurs dos voûtés et celle des meules de paille leur répondant au second plan : les femmes semblent par là avoir un contact aussi lourd avec le sol que ces ensembles de végétaux massifs. [...]
[...] Il n'hésita pas non plus à représenter de la dignité là où l'on osait pas en voir, pas même lui : ainsi, l'Américain Edward Wheelwright, l'un de ses proches, écrivit-il, en parlant de l'artiste qu' il ne faisait pas [ ] des paysans ses voisins [ ] ne nourrissait aucune illusion sur les habitants du village [de Barbizon] [ ] plus d'une fois je l'entendis parler de leurs tares, de leur insensibilité devant les charmes de la nature, [ ] de leur esprit mesquin Plus que jamais, en conséquence, l'œuvre de Millet apparaît comme l'expression d'une liberté artistique vis-à-vis de tous, et même de lui-même. C'est en cela que sa peinture fut intensément moderne et peut être considérée comme un tournant de l'histoire de l'art à l'époque contemporaine. Bibliographie - LEPOITTEVIN (Lucien), Jean-François Millet : Au-delà de l'Angélus, J.- P. [...]
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