L'art immense de Frans Hals n'est pas résumé mais rassemblé, recréé, enrichi de toute vie, neuf comme une première œuvre, dans le portait des « régentes de l'hospice de vieillards de Haarlem » (1664 huile sur toile, 170.5X249.5, Haarlem, Frans Halsmuseum.). Hals peint cette toile à 84 ans, deux ans avant sa mort. Ce qui fait son incomparable grandeur, c'est d'abord sa facture impatiente. La main du vieux maître ne tremble pas, refuse de s'attarder. Sa brosse, d'un seul trait, jette une collerette blanche sur un corsage noir. Elle se contraint à quelque minutie sur les visages. Le peintre s'attarde çà et là car il n'est plus hanté seulement par la forme et la couleur mais par un secret, par la mort, par cette vie qu'on recommence chaque jour d'autant plus consciemment que la mort est proche. Et puis, les mains enfin, de ces vieilles femmes qui gardent les vieillards, les mains gonflées d'engelures de ces vieilles filles, mères gouvernantes d'aïeul d'enfants. Cinq collerettes, géométrie blanche et grise, cinq têtes intenses et mornes, une paume ouverte - pour quelle quête ?- deux poings sur la table, des doigts élégamment occupés par un éventail et un mouchoir, et, au premier plan, à droite du tableau, superbe, une longue main décharnée. Sur le fond bistre et les longues robes noires, une seule touche vive : la tranche rouge d'un livre posé sur la table recouverte d'un grenat éteint. Ce tableau suffirait à l'immortalité de Frans Hals. Il ne marque pas un progrès, il n'est pas un aboutissement mais pose une question, cette question qu'un véritable artiste ne cesse de formuler.
Frans Hals boit à pleins bords, aime l'amour, la ripaille et les querelles. Cette joie de vivre est-elle aussi claire, aussi simple qu'il y paraît ? Une tradition veut que Hals ait eu pour maître Karel Van Mander. On ne retrouve dans son œuvre aucune trace du maniérisme du fondateur de l'académie de Haarlem. Selon une autre source, il aurait suivi des leçons d'Adam Van Noort à Anvers. Peut-être a-t-il été élève du premier comme du second ? Son style offre une indéniable parenté avec celui de l'école flamande et son pinceau a cette liberté négligente qui fait penser à Rubens.
On ne connaît pas d'œuvre de jeunesse de Frans Hals. La première qui puisse lui être attribuée est le portrait de Jacob Zaffius en 1611. Le premier – et des plus remarquables - de portraits collectifs date de 1616. Aucun, parmi les quelque cent quatre vingt quinze portraits dont il est l'auteur, n'est indifférent. Peintre de l'apparence, Hals n'aurait pas su deviner l'âme de ses personnages. Peintre de l'apparence, soit ; de toute l'apparence, il n'est pas une ride, pas un reflet de l'iris, pas un affaissement des chairs qui n'échappe à Frans Hals, mais jamais il ne s'y arrête, jamais il ne retient pour lui-même un seul de ces détails.
[...] Jusqu'à Frans Hals, ces portraits de groupe n'étaient que des alignements monotones et figés de personnages autour d'une table. Il dépasse tous ses prédécesseurs par la force et le sentiment de la vie qui éclatent dans tous ces visages, l'élégance du jeu des mains autour de la nature morte du banquet. La composition est ordonnée par les grandes diagonales des bannières qui flottent mollement au-dessus de la table, et équilibrée par le groupement des convives, parmi lesquels il faut noter l'audace du personnage central montrant son dos. [...]
[...] Peintre de l'apparence, Hals n'aurait pas su deviner l'âme de ses personnages. Peintre de l'apparence, soit ; de toute l'apparence, il n'est pas une ride, pas un reflet de l'iris, pas un affaissement des chairs qui n'échappent à Frans Hals, mais jamais il ne s'y arrête, jamais il ne retient pour lui-même un seul de ces détails. Son pinceau substitue une complexité de texture, donc apparence, à la complexité naturelle la peau, des volumes, des empâtements. Sa brosse à la vélocité de l'écriture, ses empâtements ne sont qu'une synthèse de lignes descriptives si les portraits de la fin de sa vie sont les plus riches, c'est que le noir et blanc, les verts olive les gris argentés y ont pris la place de l'ocre clair des années 1630 à1640. [...]
[...] Les transitions savantes sont abandonnées au profit de la juxtaposition. Ce n'est pas la triomphante légèreté de Rubens, mais la hâte sublime de la maîtrise. Plus l'apparence se réduit à elle-même, moins l'anecdote est nécessaire à l'intelligibilité d'un spectacle. Une foudre noire et blanche met en relief ces mains et ces visages entre lesquels le portraitiste établit une correspondance absolue. Ses trois Banquets des officiers de Saint-Georges, celui de et 1639, font à eux seuls justice de l'absurde imputation de superficialité dont Hals, comparé immanquablement et bien inutilement à Rembrandt, est la victime. [...]
[...] Vers 1640, alors qu'il atteint la soixantaine, Hals entreprend une étape nouvelle de son œuvre. Le portrait se simplifie et son exubérante vitalité s'efface devant une dimension spirituelle qui lui était, jusqu'à présent, inconnue. Est-ce l'influence de Descartes, dont il fait à cette époque le portrait, ou le poids de ses chagrins intimes, ou bien est-ce l'ombre de Rembrandt, alors au faîte de sa carrière qui plane sur ce monde sévère et méditatif ? L'éclat des costumes et la gloire des rubans ont disparu pour laisser parler le blanc et le noir. [...]
[...] Le vieux maître de Haarlem laissa peu d'héritiers à son époque. On peut dire cependant que le peintre Jan de Bray, bien que trop jeune alors pour avoir été son élève, a recueilli dans la présence intérieure de ses portraits, plus intéressants que ses œuvres mondaines, un peu à la manière de Hals. Il faut citer aussi Judith Leyster qui pastiche les œuvres du maître, Willem Buyteweck et Dirk Hals, mais surtout le peintre Adriaen Van Ostade à qui Hals légua, durant son apprentissage vers 1627, le goût des scènes de cabarets où l'ivrognerie tient assises, des assemblées de paysans dansant, buvant, manigançant quelque forfait dans la lumière diffuse, le pot de bière à la main et le juron aux lèvres. [...]
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