Nous montrerons que même si Goya ne peut être réellement appréhendé comme un artiste engagé, il peut être néanmoins sensible, bouleversé par le marasme contemporain de l'Espagne. Alors, l'exemple de Goya nous permet de nous interroger plus largement sur le statut de l'artiste. Doit-il être hors du temps et de l'Histoire, peut-il en être seulement autrement ? L'artiste doit-il être, au contraire, « engagé », à l'écoute du monde ? Quelle doit être sa fonction ? Doit-il nécessairement en avoir une ?
[...] Pour se dégager, les soldats ouvrent le feu. L'émeute est noyée dans le sang. Le soir même, une commission militaire fait fusiller sans jugement, jusqu'au lendemain matin, tous ceux qui ont été faits prisonniers, parmi lesquels se trouvent naturellement de nombreux innocents. En quelques jours, la nouvelle de la révolte et de sa brutale répression se répand dans toute l'Espagne ; en quelques mois, la résistance s'organise dans chaque ville et dans chaque province. Le 2 mai 1808 et les événements qui l'ont suivi créent dans le pays un authentique sentiment national, d'une profondeur jusqu'alors inconnue. [...]
[...] Goya s'inspire sans aucun doute de ses propres observations, et notamment de ce qu'il a vu au cours de son voyage à Saragosse, et de certains récits que lui ont faits ses amis. Viols, tortures, massacres et mutilations de cadavres se succèdent dans les Désastres, en une longue série de scènes atroces, dont les protagonistes n'ont plus rien d'humain. L'art de Goya atteint ici la clarté de l'hallucination, sans pourtant perdre le contact de la réalité, ni descendre jusqu'aux profondeurs infernales des Caprices. [...]
[...] Il publie d'abord, en 1799, une série de quatre-vingts planches, intitulée Caprichos (Caprices). Avant de partir pour la France en 1824, et de s'installer à Bordeaux, il réalise une autre série d'eaux-fortes avec aquatinte, d'un style encore plus personnel, les Disparates (Sottises) dits aussi Proverbios (Proverbes) qui n'est pas publiée de son vivant. Dans ces œuvres, la gravure et la satire atteignent un niveau rarement égalé. Les Caprices sont composés au sortir d'une terrible maladie qui manque de tuer Goya et le laisse très affaibli et totalement sourd. [...]
[...] De tout cela, Goya fait table rase. Il peint et dessine la guerre telle qu'elle est, avec ses actes d'héroïsme, mais aussi avec toute sa cruauté qui peut faire de l'homme une bête féroce, capable d'infliger à ses semblables des supplices dont l'horreur dépasse l'imagination. Cet ensemble édifiant est l'un des témoignages les plus accablants jamais portés contre la guerre et ses atrocités. Même après la guerre, Goya ne cherche pas à publier les Désastres, sachant qu'il ne pourrait manquer d'offenser Ferdinand VII, revenu au pouvoir, et sa Cour en leur rappelant qu'ils sont en partie responsables d'une telle situation. [...]
[...] Dans les légendes qu'il a inscrites au bas de ces dessins, Goya montre également que ses commentaires peuvent être aussi féroces que ses caricatures. Le sommeil de la raison engendre des monstres : cette planche des Caprices constitue la pièce maîtresse de la série dont elle donne le ton. Lorsque l'homme laisse sombrer sa raison dans le sommeil, il est aussitôt assailli par des créatures de cauchemar, qui ne s'en vont qu'au réveil de la raison. En 1797, Goya est partagé entre des sentiments très divers. [...]
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