L'Œuvre met mal à l'aise, en même temps elle attire le regard comme un aimant. La scène semble être figurée sur la piste d'un cirque ou d'une arène. Univers instable, à l'horizon incertain, où les repères cardinaux sont souvent mis au défi: perte des repères, ou plutôt de leur fiabilité, qui rend les espaces ambigus, tout à la fois abris et menaces, dont la seule vérité demeure le mouvement général et les gestes particuliers de la peinture. Bacon, moderne par excellence, parvient, dans un grège inerte qui ne délimite que cet infini d'espace, à faire communiquer surface « basculée » et matière picturale brossée qui sert de monde à ses figures singulières. L'oeuvre forme un espace psychique intérieur criant au monde sa réalité.
Et, l'homme souffre dans sa chair visiblement torturée. Le peintre exécute sa peinture comme un cri, il réinstaure le réel en cherchant à transmettre directement la sensation, évitant le détour de l'ennui d'une histoire à raconter… « Produire la ressemblance avec des moyens non ressemblants »… Deleuze, dans son essai Francis Bacon, logique de la sensation s'attache à cette obsession du peintre à bâtir l'apparence du sujet humain, à capter les forces qui le traverse. Il s'est produit quelque chose d'épouvantable, d'innommable, d'irreprésentable, le tableau va droit au système nerveux; si nous percevons bien un événement figuré, un drame en éclair, une crucifixion, une copulation, un vomissement, on ne sait rien d'autre et pourtant tout est là. Le philosophe construit son analyse autour de ce dispositif de captation élaborée par le peintre pour libérer la Figure. Figure à la limite, Figure vivante hantée par le vide et promise à la viande…
[...] Mais n'y a-t-il pas une autre voie, plus directe et plus sensible? Comme nous l'avons dit précédemment l'obsession de Bacon est celle du sujet humain; c'est toute la matière de son œuvre, il s'agit pour lui de la rendre dans son énergie; pour cela il faut trouver un dispositif qui libère la Figure contre tout élément figuratif ou narratif, contre tout intimisme. Trois éléments y concourent qui convergent vers la couleur: la structure ou l'armature, la Figure elle-même et le contour. [...]
[...] Sa fonction est de suggérer, d'introduire des possibilités de fait. Les traits et les tâches doivent d'autant plus rompre avec la figuration qu'ils sont destinés à donner la Figure. Tout bascule dans la catastrophe, le chaos: C'est comme le surgissement d'un autre monde [ ] Ce sont des traits de sensation, mais de sensations confuses Cependant cela ne constitue pas encore un fait pictural: Pour évoluer en Figure, ils doivent se réinjecter dans l'ensemble visuel; mais alors précisément sous l'action de ces marques, l'ensemble visuel ne sera plus celui de l'organisation optique, il donnera à l'œil une autre puissance, en même temps qu'un objet qui ne sera plus figuratif Bacon touche donc l'œil comme enveloppe d'une marque en relief, de telle façon que le regard passe, par avance, au-delà de l'aveuglement qui le guette. [...]
[...] Les tableaux de Bacon baignent en effet dans une modernité immédiatement lisible. En témoignent les objets qui voisinent avec les nus: divan, fauteuil roulant, bidet, ampoule électrique, seringue Loin de l'expressionnisme, de son aspect caricatural, mais avec une virulence de facture qui devient une virulence thématique, Bacon met en lumière une réalité à laquelle l'être humain de l'Occident moderne tente d'échapper : son total isolement C'est dans le désordre de l'atelier que Bacon va inventer cette scénographie du sol, de l'aire comptée, qui est pour beaucoup dans la sensation d'enfermement et de claustration repérée comme un thème majeur de l'artiste, d'autant plus sensiblement que l'enfermement n'y est pas tant décrit que suggéré. [...]
[...] Francis Bacon ou l'instauration du réel L'Œuvre met mal à l'aise, en même temps elle attire le regard comme un aimant. La scène semble être figurée sur la piste d'un cirque ou d'une arène. Univers instable, à l'horizon incertain, où les repères cardinaux sont souvent mis au défi: perte des repères, ou plutôt de leur fiabilité, qui rend les espaces ambigus, tout à la fois abris et menaces, dont la seule vérité demeure le mouvement général et les gestes particuliers de la peinture. [...]
[...] Libérer la figure Dans Francis Bacon, logique de la sensation, Deleuze décortique un à un les aspects des tableaux du peintre. Divisé en dix-sept chapitres le livre est non seulement une étude des peintures de Bacon mais aussi et surtout, une enquête sur la logique plus générale de la sensation. En effet, au sens strict, cette logique de la sensation voudrait penser le sensible et son acte en s'opposant à une logique figurative de la représentation. Au-delà du cliché et par le jeu modéré du diagramme qui module la couleur, la Figure serait privilégiée dans sa chair, souffrante et accidentelle, qui hystériserait tous nos sens. [...]
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