Dossier réalisé dans le cadre d'un cours d'histoire de l'art à Sciences-Po. Celui-ci porte sur la création du musée des Arts premiers (musée du quai Branly ouvert en juin 2006) et aborde deux problématiques : le projet à la fois artistique et politique de Jacques Chirac, et la polémique autour du nom du musée symbole de la reconnaissance des Arts premiers.
[...] Le terme arts premiers avait pourtant été inventé par Jacques Kerchache lui-même et était supposé être moins dépréciatif que celui de primitif mais n'était au final guère plus satisfaisant. Ouvrir un musée des Arts premiers aurait semblé tout à fait contraire à l'objectif même du projet : offrir à ces œuvres leur place à part entière dans l'histoire de l'art, en dehors de toute hiérarchie entre les cultures. En refusant ces termes pourtant largement répandus, les promoteurs du musée cherchaient visiblement à rompre avec le passé colonialiste de la France, qui avait pendant plusieurs siècles déterminé l'appréciation et le traitement des œuvres africaines ou asiatiques. [...]
[...] En 1938, le musée de l'Homme remplace le musée du Trocadéro en tant que grand musée ethnographique. Ce type de musée est remis en cause car les peuples autochtones soulignent le lien étroit entre muséification et colonisation et négation identitaire. Alors que les amateurs d'art primitif appréhendent d'emblée l'objet comme œuvre d'art en raison de ses qualités plastiques, ce n'est que l'entrée au Louvre de près de 120 sculptures qui entérine une véritable reconnaissance institutionnelle des arts premiers. Les œuvres sont exposées et mises en valeur dans des vitrines de verre au sein d'un des plus prestigieux musées du monde et les visiteurs s'enthousiasment. [...]
[...] Pire, les objets censés servir de supports aux croyances païennes des peuples dits sauvages finissent souvent au bûcher. Plus tard, au 19ème siècle, leur entrée dans les musées se fait sous le signe de l'ethnographie comme en témoigne le musée du Trocadéro ouvert en 1878 : les objets sont censés témoigner de l'état d'avancement de ces civilisations et leur caractère esthétique est laissé de côté au profit du caractère artisanal ou utilitaire. On assigne à ces œuvres le statut de représentant d'un stade primitif d'une histoire des sociétés conçue comme un développement linéaire et l'organisation des collections dans les musées est fondée sur cette idée de comparaison entre les cultures archaïques et les sociétés primitives. [...]
[...] Cette utilisation des œuvres d'art au service d'un discours humaniste n'est pas une première : en 1992, alors qu'on célèbre le cinquième centenaire de la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb, Jacques Chirac écrit au roi d'Espagne, Juan Carlos, pour lui expliquer qu'il ne s'associera pas à la célébration de l'évènement qui a provoqué un terrible génocide contre les Indiens. Il en profite pour organiser à Paris, toujours avec Jacques Kerchache, une exposition d'œuvres d'art taïnos et arawaks, créées par des indigènes d'Amérique du Nord et des Caraïbes. Voilà pour le symbole : Jacques Chirac devient le grand frère de nombreuses ethnies indiennes d'Amérique. [...]
[...] Le musée du quai Branly apparaît comme un signe de reconnaissance d'arts auparavant mal compris, voire comme un message d'excuse pour ce passé. Reste que si l'on renie l'appellation art premiers il n'y a plus de nom commun à donner à ces œuvres originaires de civilisations et de continents très différents. Aujourd'hui, après moult hésitations et dans un souci de neutralité toute diplomatique, le musée du quai Branly porte tout simplement le nom du lieu qui l'accueille (une tradition parisienne, après le musée d'Orsay ou le musée du Louvre). [...]
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