Illustre auteur de la Comédie humaine, considéré comme le plus grand représentant du réalisme littéraire en France, Honoré de Balzac connut dès sa mort en 1850 une immense postérité. Mais s'il est vrai que le 19e siècle est particulièrement connu pour sa passion d'élever des monuments publics aux grands hommes célèbres et notamment aux artistes qui au cours de cette période rejoignent gloires historiques et scientifiques, ce n'est cependant que dans les années 1880 que le projet d'ériger une statue de Balzac devint vraiment sérieux. En 1883, suite à l'inauguration d'une statue en hommage à Alexandre Dumas, la Société des Gens de Lettres, société régie par des auteurs qui protègent leurs oeuvres et créée à l'instigation de grands noms de la littérature dont Dumas, Victor Hugo et Balzac, se sentit obligée de faire de même pour ce dernier. Une souscription fut ouverte et la commande fut assignée au sculpteur Chapu. Le projet aurait pu ne rester qu'un projet de convention, réalisé davantage en raison d'une déférence obligée pour le grand romancier qu'à cause d'un réel enthousiasme, si un tournant décisif n'avait pas eu lieu en 1891 avec la mort de Chapu qui laissait son oeuvre inachevée et l'élection de Zola comme président de la société. Chef de file du naturalisme, Emile Zola était un fervent admirateur de Balzac et sur sa proposition, la commande revint à Auguste Rodin. (...)
[...] Zola et d'autres artistes proposeront une souscription pour financer l'œuvre, mais en pleine affaire Dreyfus, la querelle étant sur le point de se déplacer sur le champ du politique, Rodin, jaloux de son indépendance, refusera et elle ne sera coulée en bronze que bien après sa mort. Ce Balzac est une œuvre clef aussi bien dans la production de Rodin (celui- ci dira la considérer comme la résultante de toute vie, le pivot même de [son] esthétique que dans la naissance de la sculpture moderne. [...]
[...] Il s'était déjà distingué dans le domaine du monument public notamment avec ses Bourgeois de Calais, œuvre audacieuse saluée par la critique parisienne. Féru de littérature et lui aussi sincère admirateur de l'artiste, il accepta cette commande avec fierté et enthousiasme. L'œuvre en plâtre qui fut exposée au Salon de 1898 est une statue en pied haute de près de trois mètres dont la largeur et la profondeur excède un mètre, d'un Balzac corpulent à la taille rabougrie enveloppé de sa célèbre robe de chambre masquant complètement les formes de son corps surmonté quant à lui d'un visage au traits flous et fondus, et caractérisée par des simplifications extrêmes. [...]
[...] Rodin n'aura en outre de cesse de chercher à saisir la personnalité et l'essence du personnage. Son séjour en Touraine, région dont les paysages sont largement évoqués dans certains de ses romans, aura aussi cette vocation, de même que la lecture de nombre d'ouvrages sur l'écrivain. Cela explique sans doute que malgré des recherches très poussées concernant la physionomie de Balzac mais aussi un goût pour les représentations naturalistes et un talent réel dont témoignaient des œuvres comme L'âge d'airain, Rodin ait finalement choisi une autre voie. [...]
[...] Les simplifications massives qui caractérisent cette œuvre dont le matériau est souvent à peine modelé, témoignent du fait que le sculpteur a pris la décision d'ignorer la réalité physique du personnage pour se concentrer sur son essence. Bien plus que ne le feraient la précision des traits, le mouvement même de ce Balzac penché vers l'arrière de façon irréaliste, sa façon de hausser la tête et ses bras croisés avec une désinvolture hautaine sous le tissu de sa robe de chambre dont les manches vides retombent négligemment, tout exprime la supériorité de l'homme de génie qui absorbé par un monde intérieur bouillonnant, et malgré un socle très réduit, domine son environnement. [...]
[...] L'œuvre définitive en bronze était destinée à la place du Palais-Royal à Paris. Voulant atteindre la perfection, Rodin se lança alors dans un travail préparatoire particulièrement important et laborieux qui l'empêchât de terminer l'œuvre pour la date initialement prévue, en 1893. Il multiplia les dessins et réalisa nombre d'esquisses sculptées, représentant des Balzac nus, parfois acéphales, des Balzac en capucin, en robe de chambre aussi bien que des têtes, des bustes et des troncs du romancier. Mais Rodin ne cherchant pas seulement la vraisemblance ou la ressemblance et désirant véritablement restituer et immortaliser ce qu'a été le romancier, il mènera une recherche minutieuse aussi bien sur la physionomie que sur la vie et l'univers personnel de Balzac. [...]
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