Toute image montre en dissimulant : elle révèle en occultant. Toute représentation à la fois est et n'est pas ce qu'elle représente. Tout spectacle abolit la réalité pour mieux la reproduire. On comprend que les analyses de Guy Debord conduisent à faire de « l'irréalisme » le coeur d'une société pour laquelle le spectacle serait le modèle général et dominant. On sait que, comme l'a bien montré Diderot, le paradoxe du comédien est de paraître ce qu'il n'est pas et d'être ce qu'il ne paraît pas. Or le développement matériel, économique, scientifique et technique des sociétés contemporaines a conduit à la transformation des rapports inter-individuels, des relations tant publiques que privées, qui sont désormais intégralement médiatisés par le spectacle et les images. C'est donc bien la facticité, le faux, le mensonger, qui constituent le projet tacite et plus ou moins conscient d'une société dans laquelle règne la comédie humaine : comédie du paraître, comédie des média, comédie du pouvoir, etc.
[...] Il s'empare de tous les aspects de l'expérience quotidienne pour les soumettre au règne sans entrave de l'économie de marché. Le spectacle est devenu la forme moderne de l'aliénation humaine. Sa forme suprême aussi : car l'homme est maintenant le spectateur passif de sa propre servitude volontaire. Tout dans la société du spectacle consiste donc à montrer (règne de l'image, omniprésence des représentations et des signes, tyrannie du media audio-visuel, etc.) pour dissimuler (désinformation, asservissement à l'ordre économique et social, aliénation et déshumanisation, etc.). [...]
[...] Le spectacle apparaît donc comme abolition et renversement de la vérité. C'est ce qu'illustre évidemment la forme dominante qu'a progressivement prise le spectacle télévisuel, avec le développement actuel des programmes de divertissement les plus abrutissants, dont il est extrêmement significatif qu'ils aient été baptisés TV-réalité Le spectacle prétend ainsi aujourd'hui s'identifier au réel, mais à quelle réalité a-t-on vraiment affaire ? Sans aller jusqu'à suspecter l'inauthenticité toujours possible des émissions de TV-réalité sans insister sur l'évidence d'une sélection des candidats jugés les plus représentatifs, on peut remarquer qu'il y a toujours inévitablement une mise en scène, peut-être involontaire, dans sa forme la plus simple : l'omniprésence de la caméra qu'oublie le spectateur lui-même, la sélection des moments dits les plus forts et parfois la présence d'un accompagnement sonore ou musical qui dramatise des faits insignifiants, tout cela tend à prouver que la télé a déjà quitté l'objectivité pour le spectacle, et qu'elle ne reproduit pas le réel mais ne peut que le jouer et le recréer. [...]
[...] L'attrait pour le spectaculaire, la croyance illusoire dans la véracité du direct le primat de l'émotionnel sur le rationnel, l'insignifiance de l'information, tout concourt à faire du media télévisuel un spectacle factice : paradoxalement, la vérité sociale et historique est occultée par l'image qui en est la représentation et à laquelle elle demeure étrangère. Après le pouvoir médiatique, c'est évidemment le pouvoir publicitaire qui repose lui aussi, essentiellement, sur la facticité. En effet, la publicité impose un univers de signes, qui visent à provoquer des comportements, en jouant sur des archétypes simples destinés à conditionner les individus par les modèles culturels artificiels auxquels ils désirent s'identifier. [...]
[...] Mais pourquoi une société dominée par le spectacle tend de plus en plus à tout faire voir et en cela, paradoxalement, à dissimuler l'essentiel ? Le spectacle propre à la société actuelle prend évidemment d'abord les formes du pouvoir médiatique, du pouvoir publicitaire et du divertissement télévisuel. Tout l'univers social est envahi par les images à tel point que celles-ci ne font plus partie du monde, mais sont le moyen-terme du rapport de l'homme au monde, comme l'a bien montré Guy Debord. [...]
[...] La technique publicitaire, dans son exubérance, consiste à montrer en dissimulant les procédés et les normes par lesquels elle impose des besoins factices, des injonctions à la consommation, des stéréotypes sociaux, etc. Mais de plus, seconde occultation, ce que veut la publicité ce n'est certes pas notre bonheur mais notre argent ! Le produit ne peut être acheté que parce que nous travaillons. L'exhortation publicitaire consiste dès lors à montrer le contraire de notre vie réelle, en donnant l'image d'une vie facile, joyeuse, réussie, fastueuse, comme si nous n'étions pas astreints au labeur, confrontés à la précarité, à l'indigence, etc. [...]
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