On a souvent reproché à Flaubert d'avoir fait preuve de mauvais goût pour l'écriture de son roman Madame Bovary. Ce dernier fut jugé, puis censuré, les autorités prétextant que le contenu de cette œuvre était immoral. Il est en effet concevable qu'il n'y ait pas d'éloges à faire envers un auteur qui dépeint l'existence morne, triste et vulgaire, d'une femme qui préfère rêver sa vie plutôt que de la vivre. Cependant, on peut remettre en cause la légitimité de cette démarche consistant à juger esthétiquement une œuvre sur son contenu (en qualifiant celui-ci de contraire à la morale). En effet, l'inadéquation entre ce jugement et la véritable fin artistique qui Flaubert à voulu assigner à son œuvre est flagrante. D'un point de vue stylistique, Madame Bovary est remarquable, il ressort de la plume de Flaubert une prose que l'on peut qualifier de « belle ».
Après cette prise de conscience, du fait que la valeur d'une œuvre n'est pas directement fonction de son contenu, peut-on toujours accuser Flaubert de mauvais goût aussi hâtivement sans faire preuve de mauvaise foi ?
Finalement, dire de quelqu'un qu'il est de mauvais goût serait lui prêter l'incapacité de voir, de créer, d'agir vers le Beau. Le mauvais goût est-il réductible au jugement esthétique ?
La valeur d'une œuvre d'art est déterminée par le jugement esthétique que l'on porte sur elle. Mais celui-ci semble subjectif : c'est ce qui expliquerait les fréquentes polémiques Nous verrons d'abord qu'ontologiquement, le mauvais goût apparaît comme analogue au jugement esthétique. Nous constaterons ensuite que ces deux entités s'engouffrent dans les mêmes impasses, pour enfin être à même de comprendre que le mauvais goût appartient à la problématique plus large du champ d'action humain.
[...] Les œuvres ne sont pas la pâle imitation de la réalité, elles ne sont donc pas et ne doivent pas être réduites à leur contenu. C'est alors une attitude qui apparaît comme critiquable que de souhaiter juger esthétiquement une œuvre d'art et d'assigner de mauvais goût celui qui n'a pas le même rapport à la beauté que moi Le critère de beauté dépend d'une impression bien plus que de la raison. Sur ce point, les œuvres les plus belles sont bien souvent celles qui déforment ce qui est réel et rationnel, pensons par exemple à L'homme qui marche de Rude, il serait impossible de marcher de la sorte, les deux pieds posés à plat sur le sol, pourtant l'illusion est là et donne au spectateur cette impression toute particulière de beauté dans la démarche de cet homme. [...]
[...] Le mauvais goût, lié au jugement esthétique, fait entrer en jeu le caractère rationnel de l'être humain. Cependant, l'œuvre d'art ne s'adressant pas à la raison, il apparaît que le mauvais goût est en grande partie fonction de l'état d'esprit, de la sensibilité de l'individu qui crée l'œuvre tout autant que de celui qui la regarde. L'art, qui implique par suite un jugement de valeur sur la beauté de l'œuvre créée (incluant l'existence même du mauvais goût) est typiquement humain : l'art c'est ce par quoi l'homme ajoute à la nature de la manière la plus esthétique qu'il soit. [...]
[...] Il y a donc toujours cette dualité dans tout jugement esthétique, et le mauvais goût est le fruit de cette tendance double. Nous savons que la nature ne fait rien en vain. Selon cette idée, s'il y a des artistes, si l'homme a cette faculté de ressentir une certaine beauté face à une œuvre, c'est dans un but précis. La possibilité d'avoir bon ou mauvais goût serait alors réelle et ferait partie intégrante de la condition humaine. Si bien que même en ayant mauvais goût on réaliserait en partie une fin voulue par la Nature. [...]
[...] Ainsi, lorsque quelqu'un est de mauvais goût, c'est en fait qu'il n'a pas choisi de représenter, d'exprimer quelque chose de potentiellement beau, qu'il n'a pas choisit d'agir d'une belle manière : son action n'est alors pas en corrélation avec les normes qui fixent la beauté. Il apparaît alors qu'un jugement esthétique, et a fortiori le mauvais goût, peut toujours être expliqué, argumenté de manière rationnelle. Cette démarche ramène donc l'universel vers le particulier, l'infini vers le fini, elle ne prend pas l'objet dans son intégralité, mais le morcelle pour mieux l'expliciter. Mais quels sont ces critères rationnels de beauté ? [...]
[...] Il se réalise donc en tant qu'homme lorsqu'il juge esthétiquement une œuvre. Ainsi, Anatole France déclarait le petit chien ne voit jamais le bleu du ciel incomestible l'homme a ce don de la nature de pouvoir avoir une vision désintéressée sur le monde, et c'est ce désintéressement qui rend effectif le mauvais goût et, inversement, le fait même que l'on puisse avoir mauvais goût montre bien que l'homme se réalise en partie en tant qu'artiste et dans le jugement esthétique. [...]
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