Le contenu des critiques de la couleur est riche et varié. Elles se forment dès l'Antiquité et se trouvent encore aujourd'hui chez les peintres et critiques d'art contemporain. Lorsqu'Ad Reinhardt, dans son Catalogue de l'exposition Ad Reinhardt, énonce "Douze règles pour une nouvelle académie", l'une d'elles (la sixième règle) rejette la couleur : "pas de couleur". Quand l'auteur s'exprime à son sujet, il dit que "la couleur aveugle" et qu'elle est "un aspect des apparences, et donc seulement de ce qui est superficiel". Pour mieux comprendre ces affirmations, il faut en savoir un peu plus sur l'apparition de la couleur dans l'art pictural. Autrefois, dans l'Antiquité gréco-latine, et ce jusqu'au XVIIIe siècle avec le mouvement néoclassique qui se fascinait pour l'art antique, la peinture était une affaire de dessin. Le peintre et mathématicien Alberti écrit à ce propos que le dessin est ce qui confère au tableau une "lisibilité", c'est-à-dire une histoire, et c'est ce qu'il y a de plus important. L'apparition de la couleur, c'est l'apparition d'une couche superficielle qui se superpose et cache le dessin, longtemps désigné comme "l'essence" de la peinture.
[...] Ce paradoxe nous amène à une problématique qui sera le centre de notre travail : qu'est-ce qui, dans la couleur, justifie son omniprésence dans l'art pictural malgré son caractère superficiel - dénoncé tant dans l'Antiquité que par les peintres contemporains comme Ad Reinhardt ? Notre réflexion connaîtra trois moments successifs. Dans un premier temps, en nous basant sur les propos de l'auteur, nous étudierons l'origine de l'image péjorative attribuée à la couleur. Ensuite, nous comprendrons que, malgré les critiques qu'elle reçoit, la couleur reste utilisée en raison des symboles qu'elle incarne. [...]
[...] La couleur était alors rattachée à des valeurs péjoratives comme le "pathos", l'illusion, ou encore l'irrationnel : des valeurs contraires à l'instruction. Toutefois, malgré la longévité de ces critiques au fil des siècles, la couleur n'a pas cessé d'être utilisée. Sa présence s'est même développée au point d'être revendiquée, notamment à partir du XVIIème siècle où elle est présentée comme le caractère spécifique de la peinture. Elle en vient à occuper une place souveraine dans la peinture moderne et contemporaine, notamment chez Ad Reinhardt qui l'utilise dans quasiment toutes ses œuvres. [...]
[...] Que ce soit pour sa superficialité ou pour son caractère distrayant et trompeur, on voit bien que dès son apparition dans l'art pictural, la couleur revêt une image négative qu'elle porte encore aujourd'hui. Ceci étant dit, on est en droit de se demander ce qui justifie l'utilisation de la couleur malgré ces critiques. C'est l'objet de la prochaine partie, dans laquelle nous comprendrons qu'elle dépasse sa superficialité à travers les choses qu'elle représente. On peut dans un premier temps expliquer l'utilisation de la couleur dans l'histoire de l'art par son pouvoir de symboliser la vie et d'émouvoir le spectateur, plus que ne peut le faire le dessin seul. [...]
[...] Elle n'est pas niée pour autant, puisque la couleur, même si c'est le noir (négation de toutes les couleurs), est belle et bien présente - et présentée. Elle reste malgré tout un médium, qui est un médium de valeur puisqu'il permet l'accès à quelque chose de valeur qui libère et permet la méditation. Mais elle ne peut se permettre cet exploit qu'à condition de se libérer des associations qui l'entravent. Pour cela, l'artiste, comme le spectateur, doivent rejeter toute association de la peinture avec un objet, un message, une représentation, et même avec elle-même, en tant que peinture (ses couleurs, ses formes, sa texture, etc.). [...]
[...] A travers cette explication, on comprend mieux les propos d'Ad Reinhardt lorsqu'il dit que les couleurs "suggèrent la vie", puisqu'elles s'emploient à la mettre sous nos yeux. Toutefois, il en fait une critique, ce qui veut dire que cette utilisation de la couleur n'est pas la sienne . Avec l'apparition des mouvements réaliste et naturaliste apparus en France au milieu du XIXème siècle, les peintres cherchent davantage à peindre les choses telles qu'elles sont perçues par l'artiste plutôt qu'à peindre un idéal. Dans ce contexte, la couleur renvoie au "vrai" en ce qu'elle exprime de façon authentique la perception subjective de l'artiste. [...]
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