Dès le début du XXe siècle, les mouvements littéraires et artistiques d'avant-garde se sont placés dans une position de défi et d'innovation vis-à-vis des pratiques antérieures. Cette volonté d'innovation entraîne une caractéristique spécifique des mouvements d'avant-garde : l'ancrage de la poésie dans le champ de l'expérimental. L'apparition du corps dans le champ poétique semble être alors partie prenante de ce choix de renouvellement. La production poétique des avant-gardes est en effet inséparable de soirées et de performances diverses, que ce soit chez les futuristes, au début de la période, ou plus tard, chez Artaud, par exemple. Ce n'est pas tant la présence du corps comme thème poétique qui semble nouvelle à cette période, que la vision de ce corps et les enjeux qu'ils recouvrent. L'apparition des mouvements d'avant-garde inaugure un nouveau rapport au texte, et dans le même temps un nouveau rapport au corps.
Il apparaît donc nécessaire de relier ces deux mutations, et de s'interroger sur le traitement du corps dans la poésie et l'art – puisque les deux sont alors inséparables -, car cette question introduit des problématiques nouvelles et fondamentales pour les avant-gardes. S'il n'a pas été le seul axe de recherche, le corps paraît cristalliser des enjeux importants pour la période. La danse n'est désormais plus le seul domaine où le corps est inscrit au cœur d'un projet artistique.
[...] Le réel n'est donc pas vraiment nié par les mouvements d'avant-gardes, comme ils l'ont parfois revendiqué eux-mêmes, mais bien davantage redéfini : son caractère d'étrangeté et sa brutalité obligent à repenser le langage et les moyens d'expression mis à notre disposition. C'est pourquoi la littérature de cette époque ne peut être étudiée en elle-même, tant les avant-gardes ont justement recherché des moyens de vivre leurs textes d'une façon radicalement a-littéraire MARINETTI, F. T. Premier manifeste du futurisme Tuons le clair de lune ! : Manifestes futuristes et autres proclamations, Paris : Mille et une nuits p 12. NOUDELMANN, François. Avant-gardes et modernité, Paris : Hachette p 93. HEIDSIECK, Bernard. [...]
[...] On joue sur la taille, la typographie ou la disposition des lettres. La recherche d'expressivité graphique suggère le lien particulièrement étroit qu'entretiennent, dans les mouvements d'avant-garde, la poésie et la peinture. On pourra noter à ce sujet les relations de Hugo Ball avec Kandinsky, qui fait des recherches sur la sonorité des couleurs. L'importance accordée à la typographie va d'ailleurs conduire aux collages dada, qui mêlent lettres et images, confirmant ainsi la dimension physique de ces dernières. D'autre part, l'intérêt pour les onomatopées, les poèmes phonétiques indiquent quant à eux le lien vers la musique, ou tout du moins vers l'oralisation des poèmes. [...]
[...] Mais le corps des artistes eux- mêmes entre également en jeu. Le corps déshumanisé et mécanisé des artistes dada devient le support capable de présenter leurs propres créations. Le corps répond à la volonté de provocation des mouvements avant-gardistes, en affirmant violemment sa présence physique sur scène. L'apparition du corps sur une scène ou dans la rue dans le cas des performances, qu'ont initiées les futuristes et les dadaïstes ancre la poésie dans le monde. Par l'intermédiaire du corps, l'art est ainsi engagé sur la voie de la confrontation publique, de la critique, et détruit l'image de l'artiste détaché du monde. [...]
[...] Artaud et la musique, cité dans CHABANNE, Jean-Charles, op. cit. NIETZSCHE, Friedrich. Ainsi parlait Zarathoustra, Paris : Flammarion HEIDSIECK, Bernard. Op.cit. [...]
[...] D'ailleurs, si, dans un certain sens, le corps humain des avant-gardes est déshumanisé par le travail sur la voix en tant qu'instrument, par exemple on peut à l'inverse faire remarquer que cette déshumanisation s'accompagne d'une sur-humanisation des œuvres artistiques et littéraires, puisqu'elles prennent pour matière première le corps humain, qui, comme on l'a vu, n'est plus envisagé ici comme simple machine organique. Faire du corps un concept poétique à part entière, c'est intégrer et accepter dans l'oeuvre son caractère aléatoire, contingent, éphémère. Comme organisme vivant, le corps est soumis sans cesse aux changements qui affectent le monde physique, et témoigne ainsi du rapport humain à celui- ci. [...]
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