Dans la perspective d'étudier de façon approfondie une œuvre appartenant à une avant-garde artistique, j'ai décidé d'essayer de commenter une des oeuvres les plus forte et représentative d'un artiste que j'aime et admire, Francis Bacon (1909-1992). Il est important de connaître sa vie agitée, puisque ce jeune irlandais de bonne famille irlandaise catholique quitte le foyer familial à 16 ans pour assumer son homosexualité et son désir de devenir artiste. Employé de bureau à Londres, décorateur à Berlin, puis définitivement peintre, reconnu seulement à partir de 1945, il est ensuite célébré au cours d'expositions tout au long de la deuxième moitié du XXème siècle. A travers l'Etude d'après le portrait du Pape Innocent X par Velázquez transparaissent de nombreuses traits caractéristiques de son œuvre et de sa vie, ses obsessions, sa vision de l'art et sa philosophie.
Derrière la reproduction dénaturée d'un tableau de Velázquez qui obsédait Bacon, que ressent celui qui se trouve devant ce tableau ? Quels sont les messages et dénonciations explicites et implicites ? Comment la connaissance de la vie et des expériences de Bacon permettent-elles d'éclairer l'analyse, puisque Bacon a déclaré « ma peinture est le reflet de ma vie »?
Après avoir décrit l'œuvre en l'interprétant, je donnerai les différentes analyses plus globales que l'on peut faire de ce tableau replacé dans le parcours de Bacon, en montrant finalement ce qui m'apparaît comme le plus digne de la pensée globale de Francis Bacon.
[...] Son regard fixe et sûr de lui devient oublieux de l'observation devant la douleur. Les mains accrochées et agrippées aux accoudoirs laissent en effet terriblement penser aux liens des condamnés, le corps tendu semble hurler sa souffrance, sa torture et sa peur qui rejaillissent toute entière sur le spectateur par la bouche grande ouverte. Si toutes ces vues peuvent être complémentaires et apportant de nouvelles dimensions à ce tableau, elles ne sont que des parts de ce qui me semble être l'essence du travail de Bacon : une peinture de la peur existentielle. [...]
[...] Le tableau doit toujours présenté sous verre avec un cadre à l'ancienne lourd et doré, selon les vœux de son auteur. Cette Etude d'après le portrait du Pape Innocent X par Velázquez est clairement la reproduction de ce tableau espagnol de 1650, symbole de l'époque baroque. Velázquez comme Bacon ont trouvé une source d'inspiration chez Titien, dans le Portrait du Cardinal Filippo Archinto de 1551. Titien recouvrait à demi son personnage d'un voilage, un voile mystérieux ou un rideau transparent qu'on retrouve ici mais qui s'étend cette fois à tout le tableau. [...]
[...] Bacon et le pape Innocent X. Pourtant, il me semble qu'on situe ici dans une sphère de l'inconscient, qui comme toute analyse freudienne doit être prise en compte, sans pourtant devenir l'aspect central de l'œuvre d'un artiste comme Bacon, qui laissait certes une place au hasard, mais qui réfléchissait et construisait avec précision ses œuvres. John Russell et Michel Peppiatt, deux éminents connaisseurs de Bacon, participent de cette vision d'un adulte ridicule et détournée incarnant une figure paternelle d'autorité. John Russel écrit en effet : Les jupons en dentelle du pape évoquent la tenue des travestis ou le retour à une enfance béate : c'est l'image d'un adulte langé Si ce point-ci est pertinent, les dents acérées et la bouche hurlante d'un homme désespéré contredisent à mon sens immédiatement cette analyse d'une figure d'autorité moquée et transformée en enfant ou en femme. [...]
[...] Plein de ces expériences artistiques et pratiques, Bacon peut mettre à jour par sa peinture sa vision du monde, transparaissant par la signification générale de cette Etude d'après le portrait du Pape Innocent X par Velázquez. Je voudrais maintenant expliquer le sens global que l'on peut tirer de ce tableau, ce qu'a voulu montrer Bacon en peignant à nouveau ce pape devenu hurlant et souffrant. On peut tout d'abord trouver des significations certes recevables mais j'aimerai ensuite sortir des interprétations limitées pour montrer en quoi ce tableau me semble comme l'œuvre entière de Bacon révélateur de l'angoisse existentielle. [...]
[...] Velázquez effectuait une commande pour un Innocent X puissant et peu scrupuleux, au nom bien ironique. Le pape puissant de Velázquez possédait des signes extérieurs du pouvoir, bague, lettre et mitre. Il est tranquille, a un regard fixe et sur de lui, en homme d'Etat plus qu'en homme d'Eglise. Mais Bacon le transforme en un spectre cadavérique, aux dents dangereuses d'un vampire ; sans pouvoir, puisqu'il a perdu ses attributs ne conservant que des lunettes et une mitre bien dépassés. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture