Le « viaduc à l'Estaque » de Georges Braque est un tableau tout à fait emblématique de la production à une période donnée de ce peintre français du début du XXe siècle. C'est ce que nous démontrerons ici, en décrivant d'abord l'œuvre dans ses composants plastiques puis en en tirant des conclusions constructives pour l'étude du « sens ». La référence à Paul Cézanne est flagrante et doit s'annoncer dès l'introduction car un commentaire de cette œuvre ne saurait être pertinent sans se baser essentiellement sur une analyse comparée : ses similitudes avec l'œuvre du peintre dont nous célébrons cette année le centenaire de la mort, les caractères dont elle hérite, les enseignements qu'elle met en application. Nous découvrirons par conséquent aussi les nouveautés apportées par Braque, lui qui fut volontiers qualifié au début du siècle dernier de « père du cubisme » avec son ami Picasso…
[...] Le bâti occupe les trois-quarts inférieurs du tableau, mais le vert vient se fondre dans cette surface, comme s'il allait l'envahir peu à peu - c'est visible déjà sur le viaduc : la verticale est coupée par les arbres-. Ces tonalités contrastent fortement, ainsi les habitations sont les éléments qui attirent notre regard le premier. Braque les a découpées de façon très géométrique grâce à des lignes droites noires, mais il n'y a aucune horizontale (mise à part celle du viaduc). [...]
[...] Il y a ici un travail profond qui demande l'attention du spectateur. L'attention pour déchiffrer à travers de simples masses colorées délimitées par des lignes noires une maison, un toit, une ombre Toutefois parler de masses colorées n'est pas juste, Braque ne pratique pas l'aplat lisse, mais lui préfère une touche vigoureuse : on pourrait suivre son pinceau à la trace. C'est dans la végétation que c'est le plus visible : touches verticales allant du vert vessie au vert Véronèse, en passant par de subtiles touches quasi-bleues et noires. [...]
[...] Car au fond ces maisons ne sont que cubes, rectangles et pyramides agencés. Or qui ne se souvient pas de la phrase sans doute la plus célèbre de Paul Cézanne Tout dans la nature se modèle sur la sphère, le cône et le cylindre, il faut apprendre à peindre sur ces figures simples, on pourra ensuite faire tout ce qu'on voudra ? Une phrase comme léguée aux futurs cubistes que seront Braque et Picasso Une phrase qui fit l'unanimité quand à l'appellation de Cézanne, père du modernisme Qu'est ce qu'un viaduc à l'Estaque ? [...]
[...] Ils sont verticaux ou obliques. Une fois ces surfaces délimitées, le peintre ne s'attache pas au détail, il emplit la zone de couleur, nuançant ses ocres de manière vibrante, rendant les toits rouges, et figurant avec un pinceau vert-gris les ombres. Un seul bâtiment comporte des fenêtres, les autres sont des formes géométriques aveugles : un trapèze rouge pour un toit, un triangle ocre pour un pignon On remarque aussi une différence de traitement entre plusieurs zones du tableau. Si les maisons, le viaduc, les arbres au premier plan et le ciel dans la partie supérieure gauche sont très appliqués, le reste du tableau, c'est-à-dire les deux zones entourant les points d'attache du viaduc à la colline, sont des zones plus floues, vaguement nuancées d'ocre que le vert recouvre par endroits. [...]
[...] Braque empreinte à Cézanne non seulement le thème (Cézanne a peint la baie à l'Estaque en 1886), les teintes (le cabanon de Jourdan, 1906), mais aussi la théorie. Le but du maître d'Aix était de créer un art à la fois mental et visuel. Cézanne, amoureux de la nature, ne prétendait pas révoquer les sensations des impressionnistes, mais il préférait les cadrer dans une forme solide, stable et durable, une forme que l'intellect a forgée. Par exemple, on sait qu'il a travaillé avec un géologue sur la conception même des roches de la montagne Sainte Victoire ! [...]
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