L'artiste a toujours un rapport particulier au monde, à la vie ; le mythe des poètes maudits, excellents dans leurs vers mais cependant incapables de mener une vie stable et heureuse n'est en cela qu'un exemple, l'apogée d'un malaise artistique. De même Baudelaire nous conte des voyages lyriques et exotiques sans les vivre lui-même, Chateaubriand se plaint : “ La vie me fut infligée. — Que fais-je dans le monde ? ”. Le cas de Flaubert semble alors pouvoir être généralisé : “ Un livre a toujours été pour moi une manière spéciale de vivre ”. Il semble bien en effet que le rapport de l'artiste à la vie, et par là de l'art à cette même vie, est difficile et original.
L'artiste vit et voue sa vie à faire vivre son œuvre. Dès cette simple affirmation, le contenu de toute œuvre d'art semble entretenir nécessairement un rapport étroit avec la vie, mais cette intime relation est plus complexe qu'il n'y paraît. Le lien de parenté évident ces deux notions consubstantielles que sont l'art et la vie peut prendre différentes formes et selon différents degrés. On peut tout d'abord considérer cette similitude comme parfaite et nécessaire, c'est-à-dire comme finalité de l'art. À l'opposé, on peut vouloir faire tendre l'art en sens inverse de la vie et l'en faire s'éloigner le plus possible. Paul Claudel, poète et dramaturge du début du XXe siècle donnera cette réponse : “ L'art, imitation de la vie ? Mais aucun art n'a jamais fait cela ; la tragédie classique en est aussi éloignée que possible, le drame de Hugo également ”. Malgré la réponse immédiate et tranchée de l'auteur de Connaissance de l'Est, l'idée d'un art imitant la vie reste néanmoins problématique, si bien qu'il faut se demander sur la base de l'opposition proposée par Claudel, si l'art peut être une reproduction de la vie.
[...] Le Spleen des poètes de la seconde moitié du XIXe siècle s'expliquerait par l'inadéquation entre leur compréhension (et expression) de la vie, bien souvent lyrique et transcendantale, et le positivisme ambiant, dénoncé par Paul Claudel. D'une façon plus générale, la condition même de la création artistique, à savoir l'originalité, est en même temps un obstacle à la vie, sociale. [...]
[...] La création artistique ne ferait donc qu'utiliser la vie comme support et s'en dégagerait aussitôt. Ce dépassement de la vie grâce à l'art se fait certes à travers l'effort, combinaison de talent et de génie comme évoquée plus haut, du créateur mais cet effort n'est achevé que dans la contemplation de l'œuvre par un tiers. La création artistique ne trouve ainsi son sens que dans l'expérience artistique qui suppose deux pôles qui dans le cas de la littérature correspondent à l'écrivain et à l'auteur. [...]
[...] L'œuvre est donc à sa manière une vie : son contenu fictif est clos et cohérent, il est mouvement, au fil des pages, des coups de pinceau, des plans, etc. Ce n'est pas un hasard si le genre littéraire (et parfois pré- littéraire) le plus répandu se trouve être l'autobiographie : Chaque œuvre, toute fictive qu'elle soit, est parcourue par une vie et le cas le plus fréquent est la narration de la vie d'un personnage, ligne plus ou moins directrice. [...]
[...] Ceci amènerait donc à penser l'art comme un concurrent de la philosophie, ou du moins une entreprise qui contient de fortes similitudes avec celles-ci. L'artiste, de même que le philosophe, cherche et trouve un sens à la vie, c'est-à-dire une définition de la nature humaine, de son sens ; l'originalité de son œuvre résiderait donc dans l'originalité d'une telle définition et dans la manière de la reproduire, par symboles. Ainsi le théâtre n'imiterait pas la vie mais, comme le pense Nietzsche pour qui tout art dramatique procède de l'enchantement de la métamorphose (La naissance de la tragédie), il s'agirait pour les artistes de la scène de se métamorphoser pour atteindre et représenter un sens. [...]
[...] Le style et la forme d'une œuvre sont à la fois signes d'une intention artistique et manifestation de la personnalité de l'auteur. La stylisation conduit en effet à une personnalisation de fait intrinsèque à la création d'une œuvre : L'art contient une implication subjective de l'auteur. À un premier niveau, la forme stylistique de l'œuvre trahit, ou plutôt traduit, l'engagement de l'auteur en tant qu'être indivis ; chaque artiste possède son style et l'imprime dans son œuvre. Marcel Proust, dans sa conclusion au Contre Sainte Beuve, signalait la prééminence de l'individu sur la société dans le cadre de la création littéraire : le contexte social influe certes sur l'œuvre de l'artiste mais il n'y a là qu'influence et non pas relation causale. [...]
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