Le stéréotype de l'artiste perché dans sa tour d'ivoire, aveugle aux soubresauts du monde et refusant de s'engager dans le réel, est tenace, mais ne résiste pas à l'épreuve des faits. On ne compte pas les productions artistiques de toutes natures qui, par exemple, ont exprimé leur haine de la guerre.
Peut-on pour autant apprécier qu'une œuvre artistique défende des idées? L'art ne doit-il pas être au-dessus de tout discours et de toute opinion? Ne doit-il pas se mettre exclusivement au service de la forme et du Beau?
[...] Dans ce roman de Julien Gracq, le lecteur est immergé dans un univers sans repères spatio-temporels précis, et a l'impression d'un véritable voyage littéraire. Le plaisir pris est ici essentiellement lié au pouvoir qu'a l'écrivain de nous couper de la réalité du monde. L'absence - apparente - de visée argumentative est encore plus nette - et plus communément admise - dans l'art pictural. Ainsi, les paysages de Corot ou les couchers de soleil du Lorrain ne contiennent aucun message idéologique explicite; il s'agit avant tout de procurer une émotion, un plaisir esthétique. Ainsi, l'œuvre d'art n'est pas nécessairement porteuse d'un discours. [...]
[...] On ne peut donc qu'apprécier qu'une œuvre artistique investisse le terrain des idées. Pour autant, il serait réducteur de ne lui assigner que ce rôle. II. Une œuvre d'art ne peut être réduite à une fonction idéologique 1. On peut aussi apprécier une œuvre qui nous fait sortir du quotidien L'art n'a pas pour vocation de faire œuvre de militantisme. On peut même apprécier des œuvres qui, au contraire, nous font sortir du monde réel et du quotidien. La poésie, particulièrement, peut chercher à emmener son lecteur dans un univers imaginaire, un espace créé par les mots, un ailleurs» exotique très éloigné du monde matériel. [...]
[...] Le conte philosophique, quant à lui, dispose d'une liberté totale, sans obligation de réalisme, pour condamner les atrocités du monde ou, au contraire, faire partager ses idéaux. Ainsi, pour faire adhérer le lecteur à l'idée de relativité des choses, Voltaire met en scène, dans Micromégas, un géant extraterrestre mesurant une trentaine de kilomètres de haut! À travers son regard, les motifs pour lesquels les hommes s'entre-tuent paraissent bien dérisoires . La peinture a elle aussi des moyens d'expression privilégiés : l'image implique un rapport immédiat et peut avoir un impact puissant sur le spectateur. [...]
[...] Certaines toiles du peintre Pierre Soulages, dominées par d'immenses aplats de noir, peuvent procurer une émotion inattendue, une sensation presque physique qu'il n'est pas aisé d'intellectualiser, Dépourvu de repères figuratifs, le spectateur comprend bien que parfois l'art ne demande pas de comprendre, mais de se vivre comme une expérience sensorielle et affective. Au fond, l'œuvre d'art n'est appréciable que si elle émane d'un regard personnel et interrogateur sur le monde L'œuvre d'art émane d'un regard qui interroge le monde L'auteur Marcel Proust définit avec clarté ce qui fait la singularité de l'écrivain: Le style procède d'une vision du monde. Cette définition est transposable à l'œuvre d'art, nécessairement subjective. [...]
[...] Conclusion On peut donc apprécier qu'une œuvre artistique défende des idées, mais ce .serait une erreur de penser que ce combat en constitue la finalité indépassable. Une œuvre d'art réussie, au fond, exprime toujours une idée, mais pas nécessairement des idées précises sur un motif idéologique identifiable. L'art n'a d'autre but que lui-même. Certes, il peut faire passer des messages avec efficacité, mais- ce qu'on lui demande, c'est avant tout d'éveiller notre réflexion et nos questions sur le monde dans lequel nous vivons, de nous faire vibrer. [...]
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