[...] Ainsi, tout à la fois et presque indiscernablement, c'est à Socrate et à Platon qu'on doit faire commencer la philosophie.
[...] Notre intention n'est pas ici de nous demander qui fut au juste Socrate sur le plan de la vérité historique. Notre intention serait plutôt d'indiquer qu'avec Platon et Socrate (avec Socrate-Platon) c'est bien plutôt la question de la philosophie, en tant que relation à la vérité qui commence, et que cette question n'est pas séparable de la question de l'esthétique, ou si l'on préfère des relations qu'entretiennent la philosophie et l'art, avec la vérité. Et on sait que la philosophie platonicienne se caractérise par une méfiance, ou une défiance, à l'égard de l'art et des artistes (il faudrait plutôt dire des « poètes », au sens grec de poïèsis, mais on y viendra), ce qui peut s'entendre, on va le voir bientôt comme une méfiance à l'égard de l'imitation (en grec, de la mimèsis).
1.2. Platon et la philosophie de l'art
Ainsi, la philosophie commence avec Platon et, comme on vient d'en avoir l'intuition, elle commence par quelque chose comme la création de Socrate par Platon. Création qu'il faudrait pouvoir rapporter, et par conséquent apprécier, à la condamnation par le même Platon des poètes et de leur mimèsis, de leur imitation
[...] C'est dans un passage du livre 3 de La République, que Platon est connu pour bannir les « poètes » (et je rappelle que, par poètes, il faut entendre les créateurs, ou les artistes au sens large : c'est-à-dire ceux qui se livrent à la poiésis). Ce bannissement a une signification avant tout « politique », puisque dans la République de Platon, cette cité idéale où est censée régner la justice, et dont il fait la description : « Il n'y a point » (entendons, il ne doit pas y avoir, puisque la cité platonicienne n'a jamais existé) « d'homme double ni multiple, et que chacun n'y exerce qu'une seule activité» (le cordonnier n'est que cordonnier, le laboureur, laboureur et le guerrier, guerrier., etc).
[...] En effet, dans un autre dialogue, le Phèdre, Platon distingue deux types de poètes : on pourrait dire, pour faire court, l'habile versificateur (pour caricaturer : le rimailleur) et le poète inspiré, en proie au délire sacré.
[...] 1.2.2.2. distinction du monde intelligible et monde sensible
1. On se souviendra, en effet, que pour Platon le monde réel n'est pas le monde sensible dans lequel nous vivons mais le monde des idées, le monde dit intelligible ; monde éternel et immuable des Idées ou des essences, qui échappe au changement et au devenir. Monde que l'on peut tenter de connaître (contempler/theorein) pour peu qu'on entraîne son esprit, ou sa raison, à travers la dialectique ou le dialogue (bien sûr logique et raisonnable) avec soi-même ou avec les autres. Monde que l'on peut en réalité reconnaître, puisque lorsque nous comprenons une idée, dans sa vérité et sa nécessité, c'est un peu comme si nous la comprenions comme l'ayant depuis toujours déjà comprise, comme si nous nous en souvenions, après l'avoir oubliée (...)
[...] Quand il s'empare d'une âme tendre et pure, il l'éveille, la transporte, lui inspire des odes et des poèmes de toute sorte et, célébrant d'innombrables hauts faits des anciens, fait l'éducation de leurs descendants. Mais quiconque approche des portes de la poésie sans que les Muses lui aient soufflé le délire, persuadé que l'art (ici, il faut entendre la technè) suffit pour faire de lui un bon poète, celui-là reste loin de la perfection, et la poésie du bon sens est éclipsée par la poésie de l'inspiration. [...]
[...] L'autre aspect essentiel de l'art du trompe l'œil que condamne Platon sera le modelé dans lequel Apollodore, dit précisément le Skiagraphe, aurait excellé. Bien sûr l'ombre (skia) ne désigne pas ici l'ombre portée extérieure à l'objet, mais le passage graduel sur celui-ci de la lumière à l'ombre. C'est ainsi que le peintre Zeuxis aurait découvert ce que les peintres appellent le reflet Platon et la promotion réactionnaire des règles de la tradition Pour terminer ces propos concernant cette question de l'imitation platonicienne, nous dirons qu'elle trouve ses implications : à la fois, on l'a dit, dans l'exclusion des mauvais imitateurs et dans la promotion, réactionnaire, des Anciens qui, tels les Egyptiens, n'innovent pas mais se contentent de reproduire, à l'identique ce qui a été compris, ou perçu, de cette beauté absolue, vers laquelle l'âme doit s'élever, en se détachant du sensible. [...]
[...] Socrate : Pour ce qui est du dieu, soit qu'il ne l'ait pas souhaité, soit qu'une certaine nécessité l'ait contraint à ne pas produire plus qu'un lit unique qui existe par nature, en tous cas il a produit ce lit unique qui est lui-même ce qu'est le lit. Deux lits de cette nature, ou des lits plus nombreux encore, le dieu n'en a pas produit et n'en produira pas non plus. Glaucon : Pour quelle raison donc ? demanda-t-il ? Socrate : Parce que, répondis-je, s'il en produisait ne fût-ce que deux, aussitôt il en apparaîtrait un autre unique, dont ces deux-là posséderaient la forme, et celui-ci serait ce qu'est le lit véritable, et non les deux autres. Glaucon : C'est exact, dit-il. [...]
[...] Socrate : Et le fabricant de lits (donc le menuisier), ne disais-tu pas tout à l'heure qu'il ne produit pas la forme qui est, affirmons-nous, ce qu'est un lit mais un lit particulier ? Glaucon : Je l'ai dit, en effet. Socrate : Dès lors, s'il ne produit pas ce qui est, il ne produit pas l'être, mais quelque chose qui en tant que tel ressemble à l'être, mais qui n'est pas l'être. Si quelqu'un affirmait que l'ouvrage du fabricant de lits ou de quelque autre artisan manuel constitue un être qui est complètement ce qu'il est, il risquerait de ne pas dire la vérité. [...]
[...] - L'étranger : Aussi les artistes ne s'inquiètent pas de la vérité et ne reproduisent point dans leurs figures les proportions réelles, mais celles qui paraîtront belles ; n'est-ce pas vrai ? - Théétète : Tout à fait. - L'étranger : Or cette imitation, n'est-il pas juste, puisqu'elle ressemble à l'original, de l'appeler copie ? - Théétète : Si. - L'étranger : Et, dans l'art d'imiter, la partie qui poursuit la ressemblance, ne faut-il pas l'appeler, comme nous l'avons déjà dit, l'art de copier ? - Théétète : Il le faut. [...]
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