Dans Bad Lieutenant d'Abel Ferrara, Harvey Keitel incarne l'image d'une société par son personnage de lieutenant corrompu par le vice de la drogue et des paris. Le film semble être une chronique noire sur la réalité du malaise de la société et de son déclin. La fin du rêve américain. Pour donner à cette étude sociologique un aspect se rapprochant du style documentaire, en plus d'un tournage éclair s'étendant sur 18 jours imposant des improvisations, Abel Ferrara posait souvent ses caméras dans les rues de New York sans que quiconque en fût informé ; c'est d'ailleurs le cas de la scène finale, où la réaction de la foule est parfaitement authentique. Quant aux acteurs, Harvey Keitel notamment, ils participent à cette mise en scène "réaliste" en donnant beaucoup d'eux-mêmes, puisant dans leur propre personne. Cependant, Keitel vient de l'Actors Studio. Il possède donc une véritable technique, une vraie "Méthode". On en vient alors à se demander comment Harvey Keitel mêle-t-il sa technique et sa personne dans la composition du personnage du lieutenant ? Pour tenter d'y répondre, nous analyserons d'abord sa technique issue de l'Actors Studio puis, l'implication de sa personne dans le personnage pour enfin observer le rôle du réalisateur dans la composition du personnage.
I/ Ses influences
A/ L'objet
A l'Actors Studio, Lee Strasberg incite les comédiens à improviser. Il s'agit en fait de développer une aptitude à s'emparer d'objets disposés dans leur environnement leur permettant une meilleure concentration. D'ailleurs Maria Ouspenskaya qui a été formée par Stanislovsky et a apporté cette méthode à l'Actors Studio, résume cette technique dans un dialogue de The Mortal Storm de Frank Borsage. Jouant la mère de James Stewart qui doit elle-même jouer le jeu auprès des nazis pour protéger son fils, elle explique à la jeune servante qu'il faut s'occuper les mains lorsqu'on joue la comédie (...)
[...] Il est pataud lorsque dans le magasin, quand il essaie d'ouvrir le paquet de gâteaux. Et après une sieste sur le canapé, il se lève grognon comme une bête et se met à frapper des mains sans prononcer mot devant la télévision diffusant un but marqué lors d'un match. Lorsqu'il est au téléphone et qu'il perd ses moyens (1h05) certainement une idée de l'acteur il se tape nerveusement sur la poitrine, comme un gorille. 1h16 sont passées lorsque le lieutenant atteint le paroxysme de sa bestialité. [...]
[...] Harvey Keitel choisit dans la deuxième séquence de réagir comme si de rien n'était, comme si aucune chose extérieure pouvait l'atteindre. D'ailleurs, il n'est pas choqué par la mort des deux filles car il se met aussitôt à parler du match sur lequel il a parié de l'argent. Keitel développe alors une candeur mystique autour de son personnage. Dans la scène où il quitte l'immeuble et descend les escaliers pour aller téléphoner (1h04), il se gratte le torse puis sa main y reste posée. [...]
[...] Références Comme tout autre acteur, Harvey Keitel s'est imprégnés des acteurs des précédentes générations pour trouver son jeu. Ainsi, dans Bad Lieutenant il a tendance à se tenir comme le faisait James Dean. Comme on le voit dans la séquence du début avec les autres policiers, il se tient les épaules basses, la tête vers le bas. Même lorsqu'il découvre son corps de son torse dénudé, ses épaules tombent comme si sa carrure l'attirait au sol. Il se tient comme un pantin, mais cela ne donne pas du tout le même effet que sur James Dean. [...]
[...] Harvey Keitel est un grand acteur, qui est pourtant resté longtemps dans l'ombre de Robert De Niro. Il ne reste plus qu'à découvrir dans quelles mesures cette affirmation d'un critique américain est-elle vraie ? Pour cela, imaginez un film sur Harvey Keitel, acteur excellent et obstiné, et qui se voit pourtant refuser régulièrement la plus haute marche ; fonçant avec cette aura froide et déterminée qui contient de la menace et du ressentiment. Quel beau rôle ! Eh bien, c'est probablement De Niro qui le décrocherait. [...]
[...] II/ L'acteur Son physique Au début du film (11ème minute) son corps se délivre de ses vêtements pour que sa carrure s'impose. Son corps remplit alors presque tout le cadre. D'ailleurs, Abel Ferrara cherche à mettre en avant ses épaules, sa carrure puissante en le filmant souvent en plan rapproché. Ayant une corpulence qui l'immobilise et le restreint dans l'expression corporelle, il joue beaucoup avec les particularités de son visage. Harvey Keitel est un acteur qui a un physique particulier, pas très facile, autrement dit, il a une gueule. [...]
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