Le style flamboyant, l'originalité de la réflexion, cette approche inédite de l'antiquité sont autant de raisons qui conduisent à trouver dans La naissance de la Tragédie, premier ouvrage de Nietzsche, la matière d'une réflexion sur les rapports que notre modernité, et plus encore notre culture occidentale, entretient avec la Grèce antique. Celle-ci en effet ne semble jamais s'éteindre dans les esprits, et les interrogations qu'elle suscite sont toujours au cœur des études de notre temps.
Exalté par l'opéra wagnérien, par l'ivresse qui naît de ses nouvelles harmonies, et par la place que celui-ci fait à la musique, Nietzsche traque dans cet opéra les marques du dionysiaque. Il n'aura alors de cesse de démontrer que la tragédie antique est à nouveau à nos portes, plus forte, plus vigoureuse et plus éclatante que jamais. Après les années de torpeur et de déliquescence du phénomène tragique, engourdi par l'optimisme socratique et le triomphe de l'esprit « serein », Nietzsche voit dans l'opéra wagnérien la renaissance de ce qu'il appelle l'émotion dionysiaque, la communion des esprits, l'abolition des frontières étriquées de l'individu et l'ivresse musicale.
Cette œuvre n'a pas manqué de marquer les esprits, plus encore, grand nombre de ses analyses sont à présent insérées dans la plupart des travaux qui parlent du dionysiaque, et c'est dire l'importance que cette nouvelle approche de l'antiquité a apportée à la compréhension de l'essence musicale. Que retenir de cette vitalité de la réflexion Nietzschéenne ?
[...] Au chapitre page 40 par exemple, il avance ceci : Je veux dire le maintien des limites de l'individu, la mesure au sens grec. Apollon, en tant que divinité éthique, exige des siens la mesure et, pour qu'ils puissent s'y maintenir, la connaissance de soi. C'est ainsi qu'à la nécessité esthétique de la beauté s'adjoint l'exigence du connais-toi toi- même et du Rien de trop tandis que l'excès d'orgueil et la démesure sont considérés comme les démons spécifiquement hostiles de la sphère non apollinienne. [...]
[...] Ce qu'on constate alors, c'est tout le propos de Nietzsche s'accommode de justifications parfois hardies, mais aussi tronquées. Il n'hésite pas à mélanger toutes sortes de choses pour en tirer des conclusions qu'il veut assurées. Mais tout cela ne manque pas d'éveiller quelques doutes de la part du lecteur, peut-être même un certain amusement ? Devant le cheminement d'une pensée incisive, qui n'a d'autre but que d'imposer sa prééminence. On peut partiellement conclure que Nietzsche n'a, manifestement, aucun souci de la vérité, de l'exactitude historique_ et du reste, qui lui en tiendrait rigueur ? [...]
[...] Le dionysiaque seul, quant à lui, n'est pas supportable, car la vérité est trop dure : elle est violente et profondément pessimiste. Le dionysiaque attire vers les profondeurs du monde, dont il ne cherche pas à nier les contradictions. Lorsque l'apollinien rencontre le dionysiaque, il l'adoucit, le rend accessible aux hommes en le sublimant. Il lui donne une apparence de beauté et tempère ses excès extrêmes. De même, le dionysiaque empêche l'apollinien de sombrer dans son optimisme stérile et donne de la profondeur à sa beauté. [...]
[...] La tragédie a une prédilection pour la souffrance, la disharmonie, la laideur. Ce sont là des enjeux esthétiques qui participent du plaisir et qui constituent un phénomène dionysiaque. Les innovations en matière d'harmonie réalisées par Wagner nourrissent donc l'assimilation du nouvel opéra à la tragédie attique. En effet, c'est principalement dans son œuvre la plus déterminante à cet égard, à savoir Tristan et Isolde, que Wagner innove de manière radicale. Si presque tous ses accords peuvent se retrouver dans les chorals de Bach ou chez Mozart, leur emploi de manière isolée et expressive est une nouveauté géniale. [...]
[...] Ceci nous amène à un autre aspect de l'opéra tel que le conçoit Wagner à travers lequel Nietzsche pense discerner une résurgence et une remise à l'honneur de la tragédie antique : l'abolition par l'art du principe d'individuation. On peut déjà noter cela dans la création par Wagner du Festspielhaus de Bayreuth : le choix de construire une salle en forme d'amphithéâtre, à l'image des amphithéâtres antiques comme celui d'Epidaure, témoigne d'une volonté de retrouver cette communion des spectateurs et de rompre avec la disposition des théâtres à l'italienne où se déroulaient jusqu'alors les opéras. [...]
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