Le Visual Culture Questionnaire, publié en 1996 dans la revue October tente de cerner un nouveau sursaut théorique, l'avènement des Visual Studies (VS), découlant du phénomène d'une "culture visuelle", par le biais d'un questionnaire qui n'en a que le nom. Après avoir lu les 4 dimensions que recouvrent cette nouvelle discipline, des spécialistes de champ d'étude principalement historiques mais aussi littéraires, prennent la plume pour contrer ou abonder dans le sens de ces affirmations. Les chercheurs n'essayent alors pas de construire ensemble cette notion apparemment transdisciplinaire mais expriment leurs angoisses ou espérances sans qu'aucun dialogue ou conclusion au "questionnaire" soient possibles. L'introduction à la revue October souligne bien le caractère foisonnant de la notion et l'écueil du questionnaire : certains voient dans cette visual culture (VC), la tendance sociale à la généralisation des écrans et à l'avènement des nouveaux media ; d'autres, la tentation académique de trouver une "rubrique" qui fasse dialoguer les différents champs d'étude et les faire sortir de leur habituel mode d'élection de l'objet ; d'autres, encore, commentent autant les VS que la VC, sans opérer de distinction. Que cette réflexion sur les VS trouve voix dans la revue October n'a rien d'étonnant. Fondée en 1976, la revue a toujours mis l'accent sur la pluridisciplinarité et ambitionné de briser le clivage entre critique théorique et pratique artistique. En s'adressant ainsi aux spécialistes, le questionnaire souligne tout le paradoxe de cette notion nouvelle : trouver des sujets dignes d'étude dans toutes les manifestations visuelles, dès lors qu'elles ont une empreinte sociale, et permettre à quiconque de s'exprimer à son sujet, l'image étant l'apparent espace d'un temps présent, qui mêle des disciplines nombreuses, vivifiées par cette redéfinition de l'Histoire et de la Culture. L'étude du questionnaire demande, non pas de résumer son contenu, mais de sonder les terminologies de Visual Studies et Culture, tout en gardant le regard vivifiant d'un chercheur aux prises avec des questions méthodologiques, formelles et surtout réflexives. Ainsi le questionnaire proposé cherche à établir une typologie de la VC, entrelacée avec les VS, notions parfois maladroitement confondues. Le choix des mots et la démarche scientifique utilisés peuvent être interrogés (I). Ce nouveau champ d'étude marque l'avènement de nouveaux outils interprétatifs pour qualifier ce qui oscille entre le phénomène et le champ d'étude (II). Enfin, les disciplines universitaires sont ébranlées jusque dans leurs fondations : les VS marquent-elles une rupture ou une continuité avec l'Histoire de l'Art et les méthodes qui lui sont propres ? (III) (...)
[...] Conley souligne comme les méthodes anthropologiques tirent source en vérité de cette discipline. - La question de la temporalité est essentielle, elle-aussi, alors que les VS se démarquent, aux dires de certains, de l'Histoire de l'Art : il s'agirait de saisir puissamment l'image au présent et non plus seulement canoniser un corpus que l'on devine restreint et sélectif. Cette temporalité active et vécue à l'effet dans les VS explique la préférence pour le sème culture comme phénomène d'ordre humain, plutôt qu' histoire nécessairement incomplète, que ce soit dans ses méthodes ou ses objets. [...]
[...] - Peut-on vraiment accuser la discipline nouvelle d'être ahistorique alors que les objets sur lesquels elle se concentre sont ultra- contemporains ? N'est-ce pas au contraire privilégier un regard réactualisé au présent ? Cette accusation découle-t-elle de l'apparente concentration sur le mécanisme de la vision ? Une interrogation importante persiste cependant : la discipline va-t-elle être coupée des autres qui semblent avoir été à sa source ? Le rapport des études visuelles à l'Histoire de l'Art contient en creux une interrogation essentielle, qui flotte au fil des interventions, alors que les périphrases utilisées pour qualifier ces premières se multiplient : où se placent-elles dans le champ disciplinaire ? [...]
[...] Mitchell, en particulier, veille à distinguer visual culture (l'objet étudié) et visual studies (le champ d'étude). - L'interprétation la plus commune souligne que nous sommes entourés d'écrans à longueur de temps, réalité dont atteste la création de cette nouvelle lorgnette par laquelle regarder, alors qu'elle tente de composer avec certains domaines de la culture de masse ; internet, bande-dessinée, publicité etc - On n'étudie plus tant les objets que les moyens visuels de les mettre en œuvre et comment ils attestent tous à leur manière d'une culture comprise en son sens anthropologique et non élitiste. [...]
[...] Est-elle au contraire le fruit d'un concept qui décidé d'étendre les objets dignes d'intérêt des spécialistes ? Le format du questionnaire, justement, abandonne une typologie au passé pour l'ancrer fortement dans le présent, autour des notions fortes d'interdisciplinarité et de culture et même la tourner vers l'avenir, alors que les commentateurs proposent un regard réflexif sur leurs propres disciplines, dont les contours sont à présent poreux ? L'étude de ce questionnaire par de jeunes chercheurs en Histoire de l'Art s'avère particulièrement passionnante alors qu'elle révèle jusque dans le mode assertif choisi en première page, les insertions linguistiques ou l'absence de dialogue entre les intervenants les difficultés pour des disciplines clairement délimitées de s'emparer d'un tel concept unificateur. [...]
[...] III ) Un enjeu académique réflexif : refondation, destruction ou collaboration ? Ainsi, la difficulté à définir ce qu'est la culture visuelle pose d'importants problèmes pédagogiques, qui dépassent ceux liés à la théorisation pour se concentrer sur la pratique : comment va-t-on enseigner cette apparente nouvelle discipline ? Va-t-elle concurrencer les autres approches historiennes et savantes ou au contraire les compléter en donnant à étudier des objets nouveaux ? Sont-ce des spécialistes qui vont l'enseigner, apportant alors une autre casquette à ceux qui officient déjà, ou l'influence de l'anthropologie va-t-elle créer de nouveaux postes et donner à tout à chacun la possibilité de s'exprimer au sujet d'une culture mainstream ? [...]
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