Dans sa Lettre à Pauvert qui précède la réédition des Bonnes en 1954, Jean Genet définit ainsi le théâtre idéal : « On en peut que rêver d'un art qui serait un enchevêtrement profond de symboles actifs, capable de parler au public un langage où rien ne serait dit mais tout pressenti. » Il semble alors normal de se demander dans quelle mesure Les Bonnes et Le Balcon concrétisent effectivement une telle conception du théâtre ? Toujours dans la Lettre à Pauvert, Jean Genet parle du théâtre en ces termes : « Je ne l'aime pas ». L'enjeu de son propos n'est certes pas de rejeter le théâtre, mais de nous en donner sa propre conception, et définit alors le théâtre idéal. Ces exigences de dramaturge peuvent sembler obscures et il convient de les éclairer. Genet conçoit en effet le théâtre comme un art de l'abstraction qui met en scène des symboles tout autant qu'il les figure et les fabrique. Ces symboles sont en outre complexes et divers, « enchevêtrés », mais doivent constituer un lien avec le public, et, sans délivrer de message clair (« rien ne serait dit »), doivent former un pont qui guide le spectateur dans sa quête de sens. Ces exigences formulées, il est intéressant de rappeler que Genet considérait l'écriture des Bonnes comme un échec dans lequel il n'aurait pas réussi à mettre en pratique ses exigences. Il serait donc intéressant de voir, relativement aux Bonnes et au Balcon dans quelle mesure Genet a atteint son but. Dans un premier temps nous verrons donc en détail comment il fait intervenir les symboles dans leur complexité. Puis il faudra voir si le langage qui en ressort est, dans le cas des deux pièces, conforme aux attentes formulées. Enfin nous nous attacherons à ce terme d' « échec » et verrons en quoi, peut-être, Genet n'atteint pas l'idéal dramaturgique dont il rêve.
[...] C'est bien un enchevêtrement profond de symboles actifs que nous livre Genet dans Les Bonnes comme dans le Balcon, et tout d'abord au niveau diégétique. Dans les deux pièces, l'enjeu pour les personnages eux-mêmes est de devenir des symboles, plus précisément des Figures. L'origine du terme même peut ici éclairer les choses : dans l'antiquité le mot symbole désignait le morceau d'une poterie brisée qu'il était d'usage de donner aux invités que l'on recevait afin de les reconnaître s'ils se représentaient à la famille. C'est dans cet esprit que l'on devient Figure, reconnaissable et reconnu. [...]
[...] Genet refuse au théâtre d'être la répétition de gestes quotidiens (Genet refuse par exemple d'allumer une cigarette pour une scène car la fumée ne peut pas être imitée). Pour lui il faut une distance entre le jeu et la réalité. C'est ce que rappelle Irma dans le Balcon : les clients doivent savoir qu'il y a toujours un détail faux qui leur rappelle [ ] qu'ils doivent s'arrêter Le théâtre de Genet fonctionne forcément par symbolisation interposée, mais des symboles tellement enchevêtrés qu'ils produisent la confusion du spectateur. [...]
[...] Les didascalies sont nombreuses et conditionnent le ton, comme les consignes données par Genet lui-même, et qui sont révélatrices : le ton doit être déclaratoire le metteur en scène ne doit pas tailler dans le texte Si Genet parvient, comme cette étude le montre, à se tenir à ses exigences dramaturgiques tout en restant dans un échec relatif, c'est peut- être qu'il est un auteur contradictoire. La clef pour jouer ses pièces, qu'il nous livre peut-être dans Comment jouer les Bonnes, est qu' il faut à la fois croire et refuser d croire Au spectateur de dépasser l'abjection intrinsèque à la littérature de Genet pour entendre ce qu'il a à nous dire. [...]
[...] Toutefois au niveau diégétique les personnages le font déjà : ainsi Chantal qui a un rôle actif dans la révolution, symbolise la putain exaltée nécessaire à chaque révolution (soit la Marianne version Genet C'est pour lutter contre une image que Chantal s'est figé en image Tous les acteurs dans l'idéal doivent pouvoir être symbole de n'importe quoi. Les deux actrices du Balcon sont Chantal et Carmen. La première est l'actrice idéale qui n'est plus que symbole même dans ses relations amoureuses. Roger lui fera remarquer Tu connais tous les rôles n'est-ce- pas ? Tout à l'heure tu me donnais la réplique ? [...]
[...] Toujours dans cette perspective de théâtre de la symbolisation, Mauriac dans Le Figaro Le cas Jean Genet considère que celui-ci échoue à nous présenter des symboles. Il affirme que Genet ne parvient pas à faire autre chose que d'écrire ses propres fantasmes et déclare que lui, comme les héros de Haute Surveillance, tourne en rond dans le cachot d'un vice dont la création littéraire ne l'aide pas à s'évader. Genet reste dans la glorification de la gouape au lieu d'universaliser son propos. [...]
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