[...] De forme rectangulaire, le tableau présente deux couples s'inscrivant dans un paysage luxuriant, où un point d'eau, peut être une rivière ou même un lac, est bordé des deux côtés par une forêt. La végétation est imprécise, seul un arbre à gauche du tableau rappelle un saule pleureur, tandis que, à droite, la couleur rouge d'un buisson annonce l'arrivée de l'automne. A l'arrière plan, un ciel bleu nuit laisse tout de même apparaître une montagne à l'aspect volcanique.
La plaine d'un vert sombre laisse tout d'abord apparaître, au milieu et au premier plan, sur l'un des bords du plan d'eau, un couple constitué d'un homme et d'une femme.
Cet homme, nu, aux cheveux bouclés et comme retenus par une couronne, est ici montré de trois quarts, par l'arrière, on ne voit donc pas son visage. Son corps, doté d'épaules larges contrastant avec ses hanches et ses jambes fines, semble amplement contorsionné et sa musculature est ici exacerbée et contractée par le poids de la femme qu'il tient dans ses bras : de son bras droit il soutient en effet le buste de la femme tandis qu'il s'aide de sa hanche et de son bras gauche pour porter ses jambes. Le corps brun et fort de l'homme semble donc être en pleine action, en plein effort, s'avançant et s'enfonçant dans les profondeurs du paysage, comme l'indique la position de ses jambes. Dans ses bras se tient donc une femme, blanche et pâle, alanguit, dont le visage est en partie caché par sa large épaule, de laquelle pend son bras. Ses cheveux, d'une couleur bleue-noire, flottent au vent, tout comme une draperie d'un bleu foncé glissant de ses hanches nues. La femme semble être inerte, à l'abandon, sans force, comme l'indique notamment sa tête penchée en arrière, aux yeux fermés.
Sur l'autre rive du lac ou de la rivière, dans un second plan à gauche du tableau, on aperçoit deux autres femmes également nues semblant observer la scène. L'une d'entre elles, la plus à gauche, est étendue, les jambes croisées, en appui sur son bras droit. Quant à la seconde jeune femme, la plus à droite, elle se tient debout dans l'eau, son corps étant immergé jusqu'aux hanches. Elle semble tenir entre ses mains un objet, peut être une pièce de tissu, une draperie, ou encore une ceinture. Enfin, notons que Cézanne a signé et daté son tableau en bas à gauche par l'annotation "67 Cézanne" (...)
[...] On pourrait en effet s'attendre à une confrontation, à une lutte, mais ce n'est pas le cas. Certes la femme est en apparence inerte, voir morte, mais même les deux jeunes femmes, seuls témoins de la scène, ne semblent pas réagir. Finalement, l'unique élément iconographique permettant une certaine dramatisation de la scène est le décor en lui même et l'opposition sensuelle entre le corps nu et brun de l'homme, le ravisseur, et celui de cette femme alanguie à la peau blanche et pure, la victime. [...]
[...] Description thématique Par le titre de l'œuvre, on comprend donc mieux la volonté de Cézanne de faire de sa composition une scène sauvage, violente et quelque peu érotique de par ces corps dénudés. L'Enlèvement de Cézanne, bien qu'abordant un thème relativement classique, est toutefois assez énigmatique en raison du cadre dans lequel s'insère la scène mais aussi en raison de l'attitude des personnages. Dans le tableau, on voit en effet un homme nu transportant une femme à travers un paysage sombre, dans la direction d'une montagne. La scène semble se passer dans un silence profond, sous un crépuscule témoin de la soumission de cette femme. [...]
[...] Dans cette dernière œuvre, le couple est en effet très proche de celui de L'Enlèvement, avec un Hercule vu de dos. Hésione n'étant pas inanimée dans le récit mythologique, il n'est cependant pas permis d'en conclure que c'est cet épisode qui est représenté dans notre tableau, c'est pourquoi Kropmanns en déduit que Cézanne a sans doute voulu représenter Hercule ramenant Alceste. En effet, dans le tableau de Delacroix, le couple central est également très proche de celui de Cézanne (l'homme avance, il supporte les jambes de la femme de la main gauche, ) et la composition est également assez fidèle vis à vis du récit mythologique d'Euripide, la montagne pouvant évoquer le Mont Pélion, l'eau le lac de Boibe, très allongé et étroit, on évoque aussi la couronne de myrte d'Hercule, de grandes forêts et la période durant laquelle se passe cet épisode, le mois de Karneios (août/septembre). [...]
[...] En effet, le plan d'eau suivant un axe diagonal, il a donc une place majeure dans la composition, ses bords permettant en partie la création de cette perspective fuyante dans la partie droite du tableau, perspective renforcée par le ciel azur qui s'éclaircit à l'horizon. L'atmosphère et l'ambiance générale du tableau est d'autant plus violente et tourmentée que les couleurs y contribuent. En effet, l'accord de la peau blanche de la femme avec la peau bronzé de l'homme, associé au bleu et au vert de la plaine, produit un effet fortement sauvage. [...]
[...] Meier-Graefe, en 1918/19, sera le premier à étudier l'œuvre de jeunesse de Cézanne, il dira : Au premier plan, se détachant sur un paysage romantique qui rappelle les coulisses, plus sombre que les tableaux les plus sombres de Courbet, un gaillard est représenté nu, une femme nue dans ses bras ; le gaillard présente une musculature protubérante à la Daumier ; la femme d'un blanc spongieux, les membres monstrueux, n'est qu'un paquet formé de bras et de jambes. Au fond, quelques nudités plus petites, morceaux de chair épars. Rien qui eut été destiné aux jeunes de l'époque. Pas de trace de naturalisme, plutôt le contraire, pas de trace de Manet. [...]
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