Natural Beauty Museum, Eléonore Weber, Patricia Allio, Centre Pompidou, Festival d’Automne 2014, musée de la beauté naturelle
Alors que le texte descriptif de Natural Beauty Museum laissait entendre aux spectateurs qu'ils seraient des « acteurs/visiteurs arpen[tant] des salles […] étrangement vides et paisibles », plongés au cœur d'une « exploration fantaisiste », ils arrivent dans une salle avec gradins, dans un dispositif frontal des plus conventionnels. On aurait pu s'attendre à une immersion dans ce musée étrange, il n'en est rien, ou du moins elle ne se fera pas de manière spatiale. Le cadre est net et rappelle le théâtre et ses codes, d'un côté la salle (les regardants) et de l'autre la scène (les regardés), les deux espaces sont donc distincts et le spectateur de théâtre peut y reconnaître des conventions qui modèlent son regard et font émerger la théâtralité telle que la conçoit Elisabeth Burns, c'est-à-dire rendue telle par le spectateur qui y reconnait des codes. Le dispositif scénographique lui-même peut apparaître comme un décor représentant un musée futuriste, et l'acteur en scène semble attendre le silence pour commencer à jouer. Seulement, à la représentation attendue se substitue habilement une présentation de l'espace et de l'audio-descripteur lui-même, qui, en prenant à contre-pied nos attentes, nous fait percevoir le dispositif différemment, et l'inclut dans le champ du performatif, comme nous le verrons plus tard. Le brouillage est voulu par les deux metteurs en scène, et conduit d'une certaine façon le spectateur à « l'exploration » annoncée, exploration des codes, des attentes, des signes, dans un troisième espace : l'espace mental.
[...] Il crée de la performativité dans la réception, en ce qu'il interroge notre rapport à la norme, au corps social. Faut-il nécessairement disposer du sens de la vue pour avoir un regard sur la société ? C'est la question que semblent poser les metteurs en scène, lorsqu'elles laissent la parole à Ouiza, qui souligne l'égoïsme humain, l'absurdité de certaines situations, la mise à distance par la vue Plus que n'importe quelle autre personne sur le plateau, elle est celle qui voit clair, qui est lucide. [...]
[...] C'est par son intervention dans le processus de description[3], qu'on perçoit différemment ce qui est offert à notre regard ou à nos sens (certains spectateurs n'ayant pas recours à la vue) et qu'on peut parler de l'aspect événementiel dans Natural Beauty Museum. Abordée de cette manière, la parole énoncée acquiert un aspect performatif qui opère à différents niveaux sur le travail, tout en le rattachant à la notion de la théâtralité. D'abord, la parole crée l'espace, les objets et les sujets qui se trouvent sur scène, quand le sens de la vue chez le spectateur n'est pas impliqué. Les éléments scéniques ne surgissent que quand le descripteur les fait apparaître par la projection vocale des mots, par l'énonciation. [...]
[...] Durand pour approfondir notre analyse. Dans son article voix de l'auteur, voix de l'acteur M. Bernard inscrit la voix dans la corporéité de l'acteur ou de l'énonciateur pour la définir comme une composante essentielle de théâtralité. Il soutient que la voix a la capacité de matérialiser un processus corporel, énergétique, en formes visibles et objectivables. Pour lui, la voix peut être porteuse du sens, mais c'est sa condition de potentiel d'expression qui rendre possible l'acte théâtral. Le dire et le dit, selon lui, autorisent et dynamisent sa manifestation. [...]
[...] C'est le cas de Natural Beauty Museum, où l'acte de décrire crée une réalité pour le spectateur. R Bourassa parle aussi du fait que le processus de la communication implique la relation entre émetteur et récepteur, processus qu'on retrouve, d'après lui, dans la relation de l'énonciation théâtrale On reviendra plus tard sur cette notion d'énonciation théâtrale tout en la rapprochant d'autres aspects performatifs et théâtraux dans ce spectacle. III. Théâtralité et performativité dans la même voix La voix comme instrument de regard est, on l'a vu, un élément clé de la proposition scénique d'E. [...]
[...] Eleonore Weber et Patricia Allio interrogent notre rapport au critère d'œuvre, et surtout notre manière de voir. C'est là le point nodal de ce spectacle c'est en ces termes qu'en parlent les metteurs en scène qui, en faisant appel à une comédienne aveugle, en proposant une audiodescription et en nous présentant des musées construits pour leur vue sur l'extérieur, nous permet de modifier notre approche de la vue et du regard, d'interroger notre syndrome du paysage L'intérêt ici ne sera pas de déterminer s'il s'agit de théâtre ou de performance, si le caractère performatif l'emporte sur le théâtral, mais bien de voir où sont les points de contact, qui permettent de saisir toute la portée du spectacle, dans sa dimension critique et problématique. [...]
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