Choisir un photographe d'avant les années 1950 », c'est faire le tri entre inventeurs, pionniers, photo-reporters, humanistes, aventuriers et portraitistes, dadaïstes, surréalistes, photographes de mode, photographes de commandes ou artistes indépendants, et j'en oublie certainement. D'autant que cela reviendrait à tous leur attribuer une étiquette formelle et fausse, de par la multiplicité des pratiques photographiques de tout temps.
Pour choisir le ou la photographe qui ferait le sujet de ce dossier, j'ai donc simplement tenté de trouver le nom de celui ou celle qui intriguait le plus ma curiosité, sur lequel je n'avais pas encore eu le temps de me pencher, celui ou celle qui éveillait chez moi la plus grande imagination, qui semblait, enfin, auréolé du plus grand mystère.
Un nom, peu à peu, s'est imposé à moi : celui de Dora Maar. Cette grande dame au profil charismatique, « numismatique » selon l'expression de Mary Ann Caws dans Les Vies de Dora Maar, paru en 2000 aux éditions Thames&Hudson. Cette femme, muse de Picasso dans l'esprit collectif, avant d'être une artiste à part entière. Cette femme d'inspiration pour les Surréalistes, avant d'être elle-même une photographe surréaliste ; et qui devait pourtant bien mériter de retenir l'attention...
Lorsqu'on commence des recherches sur Dora Maar, on trouve biographies sur biographies, plus ou moins romancées, mais peu de critiques sur son oeuvre. En effet, sa vie possède tous les ingrédients nécessaires pour la transformer en héroïne romanesque malheureuse, genre d'Emma Bovary des années 1920-1930. Pourtant, au delà de l'anecdotique, Dora Maar a été peintre et photographe.
Lorsqu'on se penche sur ses clichés, sur ses autoportraits tout particulièrement, ce qui frappe en premier lieu est la constance d'une thématique : celle du filet. Problématique simpliste de l'artistehéroïne prisonnière - de son amant ou d'elle même, allez-vous me dire. Mais la symbolique du grillage, omniprésente dans la production photographique de l'artiste, est tout de même troublante (...)
[...] Chadwick Withney, Les femmes dans le mouvement surréaliste, Thames&Hudson, Paris 256p. Colvillz Georgiana, Scandaleusement d'elles. Trente-quatre femmes surréalistes. éd. J.-M. Place, Paris p 179 à 185. Gonnard Catherine, Lebovici Elisabeth, Femmes artistes, artistes femmes : Paris, de 1880 à nos jours, éd. Hazan, Paris 479p. Léal Brigitte, Les portraits de Dora Maar p385 à 407 in Picasso et le portrait, Réunion des Musées nationaux 495p. [...]
[...] D'ailleurs, l'auteur des Vies de Dora Maar, Mary Ann Caws, une Américaine installée en France, ne cache pas son attirance pour cette femme à chapeaux au destin extravagant, au point parfois de noyer son sujet dans des détails nunuches. Née Henriette Théodora Markovitch, d'un père architecte croate et d'une mère tourangelle catholique, élevée un temps à Buenos Aires, Dora Maar revient à Paris, en 1926, pour ses dix neuf ans. Ce Paris-là, où domine le noir Chanel et les bordels flamboyants, comment ne pas en rêver? Elle, elle rêve d'être peintre, puis photographe. [...]
[...] Dora Maar a re-photographié une illustration pour touristes en lui infligeant une distorsion telle que la voûte architecturale apparaisse droite ou courbée, voire ondulant. Vue en gros plan et retournée de façon à ce que le plafond devienne le sol, la voûte est utilisée dans le Simulateur (1936), comme dans Silence (1936), pour y replacer des personnages extraits des photographies faites dans la rue. Sans titre (1936) montre la voûte droite, mais fait surgir une figure étendue sur le sol, que l'eau envahit rue d'Astorg en version noir et blanc ou colorée à la main en rose et jaune, montre la voûte distordue, envahit par une figurine quasiment acéphale, au très long cou (un objet trouvé) assise sur un banc. [...]
[...] Le style de Dora Maar est pourtant d'une originalité profonde. Il reste, aujourd'hui encore, insolite, dérangeant. Je ne parlerai pas ici de la trop fameuse femme qui pleure, à la fois immortalisée, chosifiée, et déconstruite par Picasso, mais de l'artiste douée d'un regard mystérieusement aigu, qui révèle l'inquiétante étrangeté du réel, le poids de la vie, l'angoisse d'être. Arrivée de Buenos Aires en 1920, Dora Maar est la fille d'un architecte croate qui a signé nombre d'édifices de la capitale argentine, autre autres l'immeuble Mihanovich, conçu à la demande du puissant armateur du même nom. [...]
[...] On note la présence du grillage, qui donne à voir, mais impose la distance, d'où interdit l'accès au paradis. Voici également le premier autoportrait signé Dora Maar. Il date de 1930. Là encore, quelque chose s'interpose entre l'œil et la chose vue, - quelque chose qui laisse voir, mais signale le caractère infranchissable de la distance spéculairement maintenue ouverte entre le sujet de l'objet. Les pales du ventilateur menacent le visage, implicitement exposé aux outrages de la machine à broyer. Arrivée en France en 1920, Dora Maar va et vient entre Paris et l'Amérique du Sud jusqu'en 1930. [...]
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