Robert Rauschenberg, originaire du Texas, est l'héritier des découvertes esthétiques du cubisme et de Dada, qu'il va croiser avec un héritage proprement américain, celui de l'Action Painting, auquel il emprunte sa gestuelle libre. Les combines, qui apparaissent dans son travail en 1954, révolutionnent les vieilles méthodes de l'assemblage et du collage. Avec Rauschenberg, la démesure et le chaos de la ville américaine entrent de plain-pied dans l'œuvre. Entre l'art et la vie, l'objet trouvé et la photo de famille s'introduisent dans la peinture et abattent les barrières qui séparaient les Beaux-Arts de la rue.
Il forge le terme de combine en 1954 pour désigner une série d'œuvres qui associent les aspects de la peinture et de la sculpture ; il appellera les œuvres accrochées au mur combine paintings, et celles posées au sol combines. Parmi ces œuvres d'un nouveau genre, Bed est peut-être celui qui a le plus choqué et suscité l'incompréhension. On verra en effet qu'il constitue un tournant dans l'histoire de l'art, notamment américaine. Pour cela, on étudiera d'abord sa dimension autobiographique, puis son rapport avec la vie, et enfin en quoi il amorce un art authentiquement américain.
[...] Dans d'autres combines, Rauschenberg écrit l'histoire de son art au sein même des œuvres. Self-Made Retrospective (1954, œuvre démontée) consiste en un meuble de rangement accroché au mur à l'intérieur duquel se trouvaient plusieurs petites œuvres illustrant sa production de 1951 à 1954, dont un tableau blanc, un tableau noir, un tableau doré, un tableau de terre et un tableau rouge. Dans Untitled, premier combine qui réunit tant bien que mal des plans bidimensionnels pour créer une sculpture tridimensionnelle sur pied, les références autobiographiques occupent l'un des plans de la sculpture, tandis que les autres présentent une minirétrospective des réussites les plus importantes du peintre. [...]
[...] La section inférieure est principalement occupée par le couvre-pied, considéré comme de très mauvais goût à l'époque, et qui n'a guère été modifié. Cette œuvre a donc une dimension autobiographique dans le fait qu'elle utilise des objets profondément personnels de l'artiste : ses draps, son oreiller et son couvre-pied. Ce dernier peut être mis en rapport avec son histoire familiale : pendant la grande dépression américaine des années trente, sa mère, couturière, lui fabriquait des chemises en patchwork, et découpait le tissu pour ses clients de façon à en gaspiller le moins possible. [...]
[...] Cette dernière devient un objet. Mais il faut cependant faire attention à ne pas sur interpréter cette dimension de l'œuvre : à l'époque, le peintre n'a pas encore rencontré l'immense succès qu'il connaîtra par la suite, et sa situation financière n'est pas brillante ; il faut donc être bien conscient qu'il travaille avec ce qu'il a. S'il a utilisé un lit, c'est qu'il n'avait plus de toile ; bien entendu, le fait d'utiliser cet objet intime relevait de sa volonté, mais l'idée lui est peut-être venue de la nécessité. [...]
[...] Toute son œuvre va ainsi être une négation de l'expressionnisme abstrait. Ses tableaux, dès le début, parodient les visées du sublime de ce mouvement. Les monochromes noirs de sa jeunesse affirment, contre l'abstraction sublime, la matérialité de la peinture et de la surface. Il ne s'agit pas d'exposer la couleur sur la toile, mais d'excéder la surface et la peinture par la matière et des traces, des restes du monde quotidien extérieur tableau. Cependant, l'expressionnisme abstrait reste présent chez lui, dans la gestuelle qu'il emploie pour peindre, ce qui est indéniable dans Bed. [...]
[...] Pour cette œuvre, Rauschenberg demande à De Kooning, un peintre qu'il admire et qui l'a influencé, un de ses dessins pour l'effacer. Ce n'est pas tant l'acte blasphématoire qui prime ici, mais plutôt la reprise, le mouvement de l'œuvre qui, comme la vie, se transforme, y compris dans les traces du coup de gomme. Rauschenberg, Erased De Kooning Drawing traces d'encre et de crayon sur papier, avec support et étiquette écrite à l'encre par Jasper Johns x 55,25 cm, San Francisco, Museum of Modern Art. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture