Annette Messager, artiste française contemporaine née en 1943 à Berck et compagne de Christian Boltanski, développe une oeuvre singulière. Représentant la France à la 51ème Biennale de Venise, elle y a obtenu le Lion d'Or en 2005. Si l'apparence de son travail plastique a évolué depuis ses débuts en 1970, on y décèle cependant une grande cohérence dans le propos. Son statut de femme ainsi que nos peurs et nos manies y sont régulièrement questionnés. C'est notamment le cas dans l'oeuvre de 2001-2002 proposée ici, Articulés-Désarticulés, fabriquée à partir de tissus, peluches et bois (...)
[...] L'espace est un des éléments importants des œuvres d'Annette Messager. Mises en scène, installations, présentations sont toujours partie intégrante de son travail. On peut ainsi regretter qu'ici ne soit pas fait mention de cette œuvre comme d'un "détail" d'une installation plus vaste occupant en réalité tout une salle d'exposition. Néanmoins, que cette sorte de trophée placé en haut d'une pique soit appuyée contre le mur de la salle d'exposition nous permet de mentionner le rapport liant l'œuvre et le lieu. [...]
[...] Elle réalise aussi, dans le champ de la sculpture, une œuvre molle dont la forme n'est pas d'une rigueur absolue. La douceur, le mou sont convoqués et font allusion au corps sans doute, au féminin certainement. Elle rejoint dans cette œuvre une des questions fondamentales soulevée par d'autres artistes comme Oldenburg ou Venet : le mou dans la sculpture. Alors que traditionnellement la sculpture s'érige et demande une réflexion sur sa structure, ici elle s'affaisse et pendouille mélancoliquement, comme sans force, non pas conquérante mais affaiblie et soutenue seulement par un morceau de bois banal et trivial. [...]
[...] L'animal ou plutôt la créature hybride à corps humain et tête d'âne porte un pull-over. La tête penchée en un mouvement de tendresse et de protection, il serre sur sa poitrine le corps horizontal, désarticulé, du mannequin de tissu en le tenant par le bassin, un bras passé entre les jambes de celui-ci. L'hybride est positionné verticalement, les jambes pendantes. Il rappelle le corps humain par les vêtements réels employés, mais aussi l'animal par la tête de peluche et enfin le jouet pour enfant et la poupée de chiffon par l'ensemble des matériaux mis en œuvre. [...]
[...] Le bois de la croix devient un tasseau soutenant l'ensemble pour le maintenir en hauteur et nous offrir ainsi un point de vue en contre-plongée. Le titre de l'œuvre, Articulés-Désarticulés, paraît explicite et descriptif, et pourtant . S'il met en œuvre un couple antagoniste comme les affectionne par ailleurs Annette Messager, il propose surtout une double référence. En effet, chacun des termes peut renvoyer à un univers complètement différent. Ainsi "articulé" renvoie à la poupée, au pantin, au jouet en général et c'est une qualité, alors que "désarticulé" renvoie davantage au corps humain réel lorsqu'il est mis à mal, torturé ou violenté. [...]
[...] En tant qu'image féminine, il oppose faiblesse et transparence à l'opacité plus réaliste de l'animal- homme, et surtout il propose une vision de la femme comme "sans visage", comme objet dans les bras d'une figure masculine possédant un vrai visage . celui d'un âne! L'aspect asexué de l'univers enfantin, du jouet, s'oppose à l'allusion sexuelle de la disposition des corps. Ces jouets placés en hauteur apparaissent comme des fétiches qui nous renvoient au mortuaire ou à la religion. Il est vraiment tentant de généraliser cette approche et d'observer combien cette œuvre suscite de couples antagonistes, de tensions paradoxales. Alors on peut se demander pourquoi avoir en introduction choisi de préciser qu'Annette Messager est l'épouse de Christian Boltanski. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture