La mariée mise à nu par ses célibataires même, Grand Verre, Marcel Duchamp, théorie des hétérotopies, Michel Foucault
En 1911, Marcel Duchamp commence à élaborer ce que l'on considère aujourd'hui comme une des œuvres les plus riches et les plus troublantes de l'époque : il s'agit de « la mariée mise à nu par ses célibataires même », aussi connue sous le nom du « Grand Verre » (huile, feuille de plomb, fil de plomb, poussière et vernis sur plaques de verre brisées, plaques de verre, feuille d'aluminium, bois, acier, 272,5x175,8cm). L'oeuvre, appartenant à la collection de Louise et Walter Conrad Arensberg (les mécènes de l'artiste), a été réalisée entre 1915 et 1923. Elle est aujourd'hui visible au Philadelphia Museum, dominant la galerie consacrée à l'oeuvre de Marcel Duchamp. L'oeuvre, qui est en réalité un tableau, fait preuve d'une complexité rare, et aurait été presque impossible à décrypter sans les travaux préparatoires (par exemple, « le passage de la vierge à la mariée » en 1912) et les notes préparatoires de Duchamp publiées en 1934. « La mariée mise à nu par ses célibataires même », au-delà d'une remise en cause du statut de la peinture et de sa nature même, interroge le rapport unissant le tableau au spectateur, dans l'expérience esthétique qu'il en fait.
[...] Dans son texte d'analyse des Ménines, Michel Foucault nous affirme qu'avec Les Ménines Vélasquez abandonne l'objectif prédominant de la peinture jusque là, c'est-à-dire de faire miroir du réel, tout comme Duchamp le fait avec La mariée mise à nu par ses célibataires même en 1912. Tous deux ont produit des peintures méta-picturales, dans une critique de la peinture rétinienne. De plus, on peut aussi noter que dans les deux cas, la fonction hétérotopique du tableau est à la fois affirmée, respectée, et niée, par une intégration et un effacement du spectateur dans son rapport à l'oeuvre. [...]
[...] Cette remise en cause de la peinture n'est pas nouvelle dans le travail de Duchamp, puisqu'elle apparaît pour la première fois dans le Nu Descendant Un Escalier en 1912. Le mode de présentation évoque, comme nous l'avons déjà dit plus tôt,une fenêtre et son encadrement, qui serait comme détachée du mur. Ceci est une référence plus qu'évidente à Alberti, qui définit la peinture comme étant une fenêtre ouverte sur le monde Si l'on en croit Alberti, la peinture se doit d'être représentative du monde réel, et doit par là privilégier un appel aux sens plutôt qu'à l'intellect. [...]
[...] En conclusion, nous pourrons dire que La mariée mise à nu par ses célibataires même de Duchamp est véritablement une des œuvres les plus complexes que le siècle dernier ai connu. Fortement réfléchie et complexe, elle ne représente pas seulement une remise en question complète de toute l'histoire de la peinture jusqu'à ce jour, de son statut et des moyens plastiques qu'elle recouvre, mais elle remet aussi en question le statut du spectateur dans son rapport à l'oeuvre. Le Grand Verre nous amène à non plus voir une peinture mais à réfléchir sur une peinture, tout en nous confrontant à notre propre réalité que nous nous efforçons de fuir entre autres à travers l'art et les tableaux. [...]
[...] Cette zone supérieure n'est pas basée sur une perspective linéaire comme la partie des célibataires, mais sur un système de perspective totalement empirique. Du point de vue de la densité, on peut constater que dans l'ensemble, les masses se concentrent sur la gauche du Grand Verre en particulier dans la partie supérieure. La droite est principalement occupée par les courants du langage de la mariée et du voyage du gaz d'éclairage, symbolisés sur le schéma (voir annexes) par des flèches à double sens. [...]
[...] Ainsi, en brouillant l'hétérotopie du miroir, Duchamp interrompt le processus de l'expérience esthétique qui permet au spectateur de pallier à l'utopie de son corps. De plus, en donnant une forme de fenêtre à la marie mise à nu par ses célibataires même et en travaillant la transparence du support, il efface le rapport frontal qui existe entre le tableau et le spectateur et souligne sa fuite en avant, son absence d'appartenance à un lieu. En se plongeant dans l'oeuvre, le regard du spectateur se perd aussi dans la profondeur de l'espace dans lequel se trouve le Grand Verre La transparence des différentes plaques de verre permettent aussi d'intégrer le réel à l'oeuvre, de l'ouvrir au delà de son cadre, et ceci en partie grâce à la lumière. [...]
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