L'étude que je vous propose de suivre porte sur un thème qui m'a frappée en tant qu'étudiante en architecture, mais également bien avant de commencer ma formation, en tant que simple usagère de ville, d'espaces, en tant que simple touriste ; à l'époque je n'avais aucune culture concernant l'architecture que celle des yeux, de la curiosité.
Mon premier souvenir architectural fort date d'un voyage à New York que j'ai fait à l'âge de neuf ans, avec mes parents. Le bâtiment qui m'a marqué est le Musée Guggenheim de Frank Lloyd Wright. Je n'avais bien sûr, à cette époque aucune idée de qui était F. L. Wright, et de quelle influence il avait eu sur la société, cependant ce bâtiment m'impressionna. Je ne peux pas dire si je le trouvai laid ou pas, mais il est clair qu'il ne me laissa pas indifférente. Je ne cherchais pas à comprendre le sens, la symbolique de ce bâtiment, ce fut uniquement une expérience sensible. La question du sens vint tout de même, plus tard, au moment des études.
Ce n'est là qu'une petite expérience d'enfant, mais elle est révélatrice d'un phénomène réel. J'ai retrouvé ce sentiment d'incompréhension de nombreuses fois face à des bâtiments que j'ai eu l'occasion de visiter, mais également au cours de mes études, face à des bâtiments vus en cours, ou même face aux projets des autres étudiants.
Je me suis trouvée très vite confrontée à une architecture particulière, spectaculaire, pas l'architecture écrasante des gratte-ciel, mais celle des réalisations exceptionnelles, celle qui sert d'exemple, de démonstration. On peut dire que je me pris l'architecture dans la figure.
Cette expérience me conduisit, il me semble, à regarder mon paysage de vie d'un autre œil, bien que cela ne fût certainement pas pleinement conscient.
En effet, face à ces bâtiments, fortement marqués architecturalement, variés, impressionnants, l'architecture qui forme le paysage dans lequel j'ai grandi, me semblait, paradoxalement, dépourvue d'originalité, d'éclat, monotone… mon premier matériau de réflexion architecturale (qu'elle soit consciente ou non, sensible ou scientifique) est un petit village de l'Ain, abritant environ 2500 habitants. Le paysage qu'offre ce village est composé de villas, de fermes, de lotissements, de petits immeubles de logements. Nous verrons plus tard le sens accordé aux différents termes utilisés pour signifier une habitation, suivant la personne qui l'emploi. Il m'apparut alors qu'il existe une énorme différence entre les « deux architectures » qu'il m'a été donné d'expérimenter. À ce stade, je ne peux qualifier ces deux types d'architecture que de façon très rudimentaire et arbitraire, ainsi il y a l'architecture démonstrative, savante et l'architecture commune, invariante.
Et pourtant, je me rendis compte que la formation offerte aux personnes qui produisent ces « deux types d'architecture » est la même. Je me dis qu'il est également probable que les architectes qui produisent ces « deux types » soient les mêmes.
Ce paradoxe, cette confrontation des deux architectures dont j'ai pu faire l'expérience de façon extrême et très tôt, est à l'origine du questionnement qui me conduit à présenter cette étude plutôt qu'une autre.
Le texte d'introduction de Fernand Pouillon pour son livre Mémoires d'un architecte illustre bien mon propos, je me servirai donc de cette citation pour introduire ce qui constituera le fondement de l'étude proposée.
« Deux grands architectes se rencontrent dans un salon :
- Que fais-tu ?
- Du sordide. Et toi ?
- Moi aussi.
Ce n'est pas de la fiction, d'autres que moi pouvaient les entendre. Pour ceux qui ne l'auraient pas compris, le “sordide”, ce sont les maisons où vous devez vivre, braves gens. Les mêmes architectes mignotent amoureusement un projet d'église pour Santa Fe, ou une salle de concert destinée à Honolulu. Et la conversation prend un tour différent :
- Je construis en éléments sur coffrages paraboloïdes hyperboliques, d'ailleurs, tu verras dans le prochain numéro d'Architecture d'aujourd'hui, il y aura des photos et un article de Vago ou de Bloch sur les formes étonnantes de mes structures.
- Ah, fait l'autre qui n'écoute pas, moi j'ai des ennuis avec l'acoustique. J'ai consulté des ingénieurs qui doivent se rencontrer prochainement. Et nous ferons plus tard, ensemble, un compte rendu dans Architecture d'Aujourd'hui.
L'aboutissement de tous les efforts d'une jeunesse débordante d'enthousiasme, consiste le plus souvent à ne souhaiter qu'une réussite consacrée par la critique et la presse. Mais, comme il faut bien vivre, les architectes se contenteront d'exécuter après une rapide mise au point, des logements ou des écoles en série, à la sauvette.
C'est à cause de cela que j'ai voulu agir. En fait, je ne pouvais rien, car il eût d'abord fallu réformer les esprits. J'ai lutté seul, afin que la partie négligée de l'architecture retrouve la vie, l'esprit, l'amour. Et cette partie représente quatre-vingt-dix-huit pour cent de la chose habitée dans le monde. Je n'exagère pas. Il suffit de parcourir la périphérie des capitales, les villes de province, pour constater la laideur des façades sur des kilomètres. Les maisons des prolétaires, les écoles, les gares, les bureaux de poste, les hôpitaux ou les cliniques sont pour la plupart défavorisés, affreux, livides. L'acceptable est rare, perle dans une meule de paille. Retrouver la chaleur et la dignité des anciennes citées où vivaient les privilégiés comme les humbles, sans notre confort il est vrai, mais dans des habitations aux formes harmonieuses, devint mon but.
Je devais entreprendre ma révolution en solitaire, et attaquer. Je laisserais à mes maisons le soin de défendre mes théories. Je les voulais belles, nombreuses, meilleur marché que les moins chères. Pour bouleverser la cité ou le quartier, lui donner un visage serein ou monumental, il me fallait gagner sur tous les tableaux afin de m'imposer aux plus exigeants.
Quarante siècles d'architecture prouvent encore que la maison et la cité peuvent être bien traitées par les constructeurs. Je ne doutais pas d'un meilleur avenir. Je me voulais le Savonarole raisonnable et triomphant, qui démontrerait par ses idées et ses méthodes, la nécessité pour l'homme de vivre dans un ensemble de proportions agréables. Au plus déshérité doit être offert le luxe gratuit du regard, comme jadis au citoyen de Rome ou au serf du Moyen-âge. Qu'y avait-il de fou dans ces projets ? En apparence, rien. En réalité, tout. Une ambition jugée démesurée me conduisit à peu de choses près, au destin final de Savonarole.
Pourquoi un tel programme, n'apparaît-il pas normal aujourd'hui ? Pourquoi les intellectuels, les petits et les grands commis, les hommes de gouvernement et les autres, ne sont-ils résignés à vivre dans l'ennui, le dégoût à peu près général de tout ce qu'ils font construire ?
L'unique Le Corbusier suffit-il à combler le besoin de beauté du monde ? Une chapelle (gravée sur des timbre-poste), dix édifices et cent résidences de millionnaires, démontrent-ils avec abondance que l'architecte continue à exister ?
Non sans doute et pourtant nous en sommes là. Les revues spécialisées elles-mêmes sont contraintes de reproduire périodiquement le même chef-d'œuvre isolé de Gropius ou Perret, de Le Corbusier ou Neutra, pour retenir des lecteurs qui oublient, bien souvent, qu'ils revoient pour la énième fois la même photographie, avec un commentaire mis au goût du jour.
Pourquoi ne sommes-nous pas cent en France à penser et à agir comme je l'espérais ? Naturellement, chacun doit œuvrer dans son sens : la beauté, l'équilibre et mieux encore, l'honnêteté d'une réalisation, peuvent être le fruit du génie comme du simple talent, ou encore d'un travail consciencieux et sensible.
Je savais que les constructeurs étaient toujours capables, mais que leurs patrons avaient perdu de longue date la maîtrise nécessaire. Ainsi, la paresse, l'égoïsme, l'avidité de vivre bien au plus vite, ont engendré des générations de médiocres architectes, facilement contents d'eux, peu soucieux de l'évolution sociale. Jamais depuis des siècles, on n'eut plus urgent besoin de dévouement ; jamais les volumes des masses bâties n'ont exigé autant de travail, d'énergie, d'abnégation, de courage, de désintéressement, de douleur enfin, pour mener à bien la tâche entreprise, pour continuer à produire le beau et l'utile. Jamais non plus, les qualités négatives : paresse, laisser-aller, égoïsme, cupidité, veulerie, n'ont été plus répandues chez les gens de métier de notre époque. On pensera que je verse dans l'exagération morbide ou dans un orgueilleux parti pris de sainteté. Je ne le crois pas. Si nous en doutons, roulons en fiacre quelques heures, le nez en l'air, à Paris, à Rome ou Athènes. Regardons le fatras des quartiers qui n'ont pas un siècle d'existence et, pour fortifier notre conviction, finissons notre promenade aux quais de la Seine, l'Acropole ou le Capitole, afin de méditer sur le génie de notre temps.
Me suis-je fait comprendre à travers ce rapide développement d'un problème digne, du moins je l'espère, de passionner l'intérêt des penseurs.
Voilà comment je concevais mon rôle d'architecte. Je ne fus pas suivi par mes pairs, ni a fortiori par les autres. Pour jouer ce rôle en toute humilité, je tiens à spécifier que si mon oeuvre ne m'apparaît pas géniale, rien non plus n'en fut réalisé sans un souci d'absolue sincérité.
Cet aride préambule est, je le crois, utile à l'abord de mon récit. Toute aventure humaine a un mobile. Je viens d'exposer le mien succinctement. C'est mon ambition, ce que l'on a appelé ma mégalomanie, qui a causé mon
Déshonneur. La fatigue, l'excitation, puis l'exaspération de ne pouvoir démontrer d'une façon éclatante, en multipliant les exemples, que j'avais raison, ont failli m'amener au bord de la folie.
C'est une terrible histoire. Je vais tenter de la raconter… » 1
À travers ce texte, qui me permet d'annoncer mon questionnement et sur le quel je m'appuie tout au long de l‘étude, l'existence d'un paradoxe dans la production architecturale devient flagrante. Il semble donc que les architectes accordent à leur travail un statut, une importance différente selon la commande. Il existerait donc (au moins) deux architectures : une qui permettrait de s'exprimer, de faire passer ses idées, ses envies, de se faire de la publicité, et également de gagner la reconnaissance de ses pairs, et une autre qui elle permettrait de gagner sa vie, de se nourrir. On comprend aisément, présentées sous cet angle, laquelle de deux architectures est la plus épanouissante, et laquelle sera favorisée.
Pourquoi existe-t-il ce clivage entre les deux types d'architectures, pourquoi l'architecture savante est-elle incomprise ? Pourquoi l'architecture monotone des villes et des villages reste-t-elle ainsi, pourquoi les usagers, mais aussi les architectes acceptent-ils tous implicitement cet état de fait ? Comment peut-on amener les usagers à accepter (plus rapidement) et à comprendre l'architecture savante ?
Je pense que ces questionnements sont importants pour toutes personnes aspirant à être architectes. En effet, quel meilleur architecte que celui qui réussie à contenter ses clients, à leur offrir des lieux de vie de qualité, sans pour autant renier sa propre conception des choses ?
Pour être un bon architecte, je pense qu'il est essentiel de parfaitement comprendre son interlocuteur, afin de coller au plus près de ses envies et de ses besoins.
Cet aspect n'est malheureusement pas abordé lors des études, sauf peut-être au moment des stages, bien que la relation avec le client soit à ce moment là minime, alors que je considère que c'est un point capital du métier d'architecte. En effet, c'est « sur le tas » que l'architecte pourra améliorer sa communication avec les clients, combien de jeunes travailleurs se trouvent, au début de leur carrière, démuni devant l'incompréhension d'un client ? Devant sa propre incapacité à s'expliquer ?
À travers cette étude je vais essayer d'affiner ma réflexion sur les rapports entre architectes et usagers, afin de pousser cet aspect délaissé de mes études, alors que la question me … depuis longtemps, comme j'ai tenté de le montrer plus haut.
Je vais commencer avec un exemple flagrant de l'architecture que j'appelle de démonstration, qu'on peut également qualifier de savante : le centre Georges Pompidou de Renzo Piano et Richard Rogers. J'ai choisi cet exemple car il est assez démonstratif de la réaction que peut avoir un public face à une architecture au style fortement marqué, tout en ayant maintenant le recul nécessaire pour en comprendre les causes et les conséquences. Avec cette partie j'essaierai de montrer la manière dont l'architecture peut parfois être rejetée, et de trouver les raisons de ce rejet, en m'appuyant sur des témoignages d'usagers ainsi que sur des discours tenus par les deux architectes du centre.
Cette première partie me servira de base pour montrer ensuite qu'un aspect du métier d'architecte est souvent délaissé : la conception de logements individuels. Je verrai les causes de cet état de fait, énoncé par Pouillon dans l'extrait cité plus haut, en me plaçant du côté des usagers, et en essayant de savoir ce qui les détournent, eux également, des architectes. Je verrai ensuite les conséquences sur le métier d'architecte, ce qui fait qu'ils se retrouvent à s'exprimer de manière intense dans des bâtiments type médiathèque, bibliothèque, musée, et d'un autre côté à ne pas s'exprimer du tout à travers la production de logements individuels.
J'aborderai alors la dernière partie, qui tentera, elle, de trouver quelques moyens de combler le fossé entre usagers et architectes, ou du moins à donner des pistes de réflexion sur ce thème qui me semble particulièrement important pour le métier d'architecte.
[...] la réponse est dans la grande majorité des cas non, je n'en ai pas les moyens. Et très souvent, cette réponse est donnée alors que les interlocuteurs n'ont pas exécuté de comparatif, puisque j'ai posé ces questions à des personnes n'ayant pas spécialement le projet de devenir propriétaires d'une maison. En annexe, je joins un comparatif que j'ai effectué : en me basant sur un prix total d'environ euros, j'ai regardé quel type de bien on pouvait acquérir, j'ai comparé les maisons d'architectes (hors-terrain), les maisons des particuliers en vente, et les maisons en lotissements vendues par des promoteurs. [...]
[...] Une salle d'eau cabinet de toilette monobloc a été comme posée sur la mezzanine à l'opposé des deux chambres. Photos de l'état des maisons dont se plaignent les personnes ayant fait appel au groupe Maisons Phénix : Bibliographie Mémoires d'un architecte, Fernand Pouillon éditions du Seuil Fernand Pouillon, architecte, sous la direction de Jacques Lucan éditions du Pavillon de l'Arsenal/Picard éditeur L'habitat pavillonnaire, H. Raymond, N. Haumont, M.G. Raymond et A. Haumont, Institut de Sociologie Urbaine, Centre de Recherche d'Urbanisme Du plateau Beaubourg au Centre Georges Pompidou, Renzo Piano, Richard Rogers, entretien avec Antoine Picon éditions du Centre Pompidou 20 maisons d'aujourd'hui à tome Olivier Darmon éditions Ouest-France Les représentations sociales de l'architecture et de l'architecte, tome le Public, Programme de recherches psychosociologiques, 1967-1969, SERES Les représentations sociales de l'architecture et de l'architecte, tome les Décideurs, les Architectes, Programme de recherches psychosociologiques, 1967-1969, SERES Diverses recherches Internet : sites de promoteurs immobiliers, site des Maisons Phénix, blogs concernant les Maisons Phénix, blogs concernant le Centre Georges Pompidou, sites d'annonces immobilières. [...]
[...] Les clients avaient exprimé une volonté particulière à l'architecte : ils ne voulaient rien de trop massif, car la maison l'était déjà bien assez. Ils avaient également précisé qu'ils étaient très ouverts, qu'il pouvait se lâcher si possible, proposer quelque chose d'originale, et qu‘ils n‘avaient pas de problème d‘argent. Trop heureux, l'architecte les prit au mot et proposa un projet ambitieux tout en lamelles de bois horizontales, présentant des courbes, des ouvertures de lumière en hauteur, qui avaient la particularité de jouer avec l'extérieur, créant des dedans/dehors, que personnellement je trouvais intéressant et bien pour une piscine intérieure. [...]
[...] Il existe une différence entre l'architecture et les autres arts, dans le sens où il est possible de se couper de ce qui nous est désagréable, par exemple : si je n'aime pas le morceau qui est en train de passer à la radio, je coupe le son, si je n'aime pas les livres d'un auteur, je ne les lis pas, mais par contre, il est absolument impossible d'ignorer des bâtiments comme le musée du quai Branly, ou le centre Georges Pompidou. Elle conditionne, elle fait passer des messages, qui sont reçus, compris ou non par les gens, que ce soit de façon consciente ou non. [...]
[...] Il sera amnistié par Georges Pompidou en 1971 et reviendra en France en 1984 et meurt en 1986. Pouillon est un exemple édifiant. Car même si sa production se compose essentiellement de grands ensembles, elle témoigne d'une volonté particulière qu'il semble être le seul à soutenir à cette époque, volonté qui va dans le sens de ce que j'ai cherché à démontrer tout au long de cette étude : ce que j'aime, c'est l'architecture banale pour braves gens, et je veux que cette architecture banale soit belle. [...]
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