"Un pirate sans foi ni loi".
Il s'agit d'un cliché ayant traversé les âges pour nous parvenir aujourd'hui par le biais de diverses productions littéraires ou cinématographiques. Pourtant, est-ce une appréciation historiquement correcte? Au-delà de cette interrogation, peut-on remonter à son origine et en expliquer la signification?
Si l'on s'en tient à ce proverbe bien connu, les pirates sont des êtres dépourvus de croyances, qu'elles soient religieuses ou bien politiques. Peut-on, pour autant, les qualifier d'amoraux? La formule nous pousse à étudier une société emblématique de par son statut et sa renommée dans un cadre et un contexte restreints, ceux de la religion et de l'aire Caraïbe au XVII° siècle. L'objectif est double: dans un premier temps, celui de qualifier le plus exactement possible les idéologies religieuses de cette société, ensuite de s'interroger sur les fondations du mythe.
Avant tout, il serait judicieux de revenir sur certains termes employés volontiers par la langue française afin de rendre une étude aussi précise que possible.
Un flibustier est, selon le Dictionnaire d'Antoine Furetière, "un nom qu'on donne aux corsaires ou aventuriers qui courent les mers des Antilles et de l'Amérique. Ce qui vient de l'anglois "flibuster" qui signifie "corsaire" . Il définit, ensuite, un pirate comme étant un corsaire, "écumeur des mers, qui fait des courses sur mer sans aveux ni autorité du Prince ou de République. […] Ce mot vient du grec "pyr" qui signifie "feux" à cause que les pirates ont coutume de brûler les navires et les habitations des Isles où ils font des descentes." Enfin, un corsaire est, toujours selon Furetière, un "pirate, écumeur des mers, celui qui court les mers avec un vaisseau armé sans aucune commission pour voler les Marchands" . Les définitions sont intéressantes de par les termes employés. Ici, Furetière confond volontairement les trois mots de "flibustiers", "pirates" et "corsaires". Or, les choses étaient un peu plus complexes que ce que l'auteur laisse à penser dans un premier temps.
La question de cette étude pousse à s'interroger sur le contenu exact des connaissances dont nous disposons à ce jour concernant la flibuste antillaise du XVII° siècle. Sans toutefois vouloir en peindre un tableau précis, il convient d'en brosser un large panorama.
A l'heure où les flibustiers connaissent ce que beaucoup d'historiens ont qualifié leur "âge d'or" faisant des Antilles leur bastion, Louis XIV, au pouvoir depuis 1661 et n'ayant pas de politique de colonisation, laisse agir les grandes associations de marchands, dont la Compagnie des Indes Occidentales crée en 1664 qui, pour exploiter les nouvelles terres découvertes et conquises, envoie des engagés. Parallèlement, en 1664, Bertrand d'Ogeron est nommé sur la petite île française située au nord-ouest de l'imposant Saint-Domingue, la Tortue après sa conquête face à un groupuscule espagnol. Dès lors, un grand tournant dans la flibuste est opéré: on passe d'une contrebande locale, tournée principalement vers les petits caboteurs, à un trafic plus important, attaquant les ports et flottes ennemis de la nation d'origine des flibustiers.
[...] Tout nôtre soin est plutôt de passer la vie, que d'épargner de quoi la conserver". Les marins, ont, en effet, conscience d'une espérance de vie plus courte que leurs congénères européens. Une vie de risque entraîne une certaine libéralisation des mœurs. Désormais, un homme de mer à quai sera un homme survivant au cabaret, à la taverne ou au tripot sans toutefois négliger un passage chez les dames. Exquemelin livre une ébauche très réaliste du quotidien d'un flibustier au retour d'une expédition. [...]
[...] L'évangélisation des îles antillaises, de ce Nouveau Monde, nécessite, avant tout, plusieurs facteurs dominants dont l'un du principal reste le peuplement. Sans population, l'évangélisation est non seulement sans portée mais inutile. C'est à ce titre que l'intérêt de cette étude doit se porter sur la politique de peuplement que mènent la Compagnie des Indes Occidentales et Colbert dans cette seconde partie du XVII° siècle. Faute de personnels qualifiés, les recensements sont aussi rares que lacunaires et bien difficiles à interpréter si l'on ne se base pas sur plusieurs rapports d'inventaires de la population. [...]
[...] La mystification va, ainsi, pouvoir intervenir pour diriger des populations trop instables. Mais c'est aussi une façon pour les pouvoirs qui régissent la société moderne européenne d'instruire une population analphabète, effrayée par les lieux dits "limites", tels la bordure maritime ou océanique, frontière entre le connu et l'inconnu, entre le réel et l'irréel, terrain de jeu des monstres mythiques et des puissances célestes. En mystifiant les paroles bibliques, de par l'intervention des forces divines, les Pères de l'Eglise ont une mainmise sur les populations et en font un moyen de pression, inspirant une peur antique de l'inconnu, en faisant appel à un bestiaire terrifiant. [...]
[...] De même, et en toute logique, l'édition de 1699 se voit attribuer sept chapitres absent de la version originelle narrant les biographies et exploits de quelques aventuriers[22] que l'auteur n'a pu rencontrer que lors de son dernier voyage dans les îles, à savoir depuis 1686. Enfin, sous le même regard, les trois derniers chapitres de l'œuvre de 1699 comportent les narrations des pillages de Campêche et Carthagène[23]. De telles différences s'expliquent avec le concours de la biographie de l'auteur et dont nous avons déjà longuement traité. La richesse de l'édition de 1699 provient avant tout des grandes descriptions d'évènements, d'exploits ou de biographies d'aventuriers. Avec une plume délicate, l'auteur parvient à tracer des portraits criant de vérité. [...]
[...] Peut-on apercevoir, tracer un quelconque parti pris de l'auteur pour un bord ou un autre dans ses quelques lignes? Si l'on s'en réfère à la dédicace faite par Jean de Frontignières à Monsieur Charles II Duret de Chevry, qui fut l'un des présidents de la Chambre des Comptes depuis 1637, le roman d'Exquemelin ferait figure de modèle dans la littérature française à l'instar de l'illustre récepteur de cette lettre, dont l'auteur ne tarit pas d'éloges: A la vérité, il y a beaucoup d'histoires qui instruisent; mais il y en a peu comme celle-ci, qui divertissent et instruisent en même temps. [...]
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