Interrogé, après avoir été fait prisonnier à la journée des Eperons (1513), par l'empereur Maximilien, qui lui faisait remarquer qu'en Italie, le bruit courait « que Bayard ne fuyait jamais », ce dernier eut cette réponse : « Sire, si j'avais fui, je ne serai pas ici ». Cet échange, véridique ou non, est en tout cas représentatif du discours, largement idéalisé, qu'on pouvait prêter aux chevaliers et cristallise autour du seigneur Pierre du Terrail, dit Bayard (1475-1524), la figure du « chevalier sans peur et sans reproche ». Ce personnage, à la vie certes, bien remplie, s'est forgé grâce à ses biographes une véritable légende posthume et sa réputation glorieuse a traversé les siècles, persistant bien au-delà de l'Ancien Régime et parvenant à l'orée du vingtième siècle presque intacte.
On peut considérer, avec précaution, qu'en ce début de XVIe siècle, Bayard, par la vie qu'il a mené et la réputation dont il jouit, est un « homme du passé ». Son exemple semble faire écho à celui d'autres grandes figures chevaleresques, que quelques chroniqueurs ont fait passer à la postérité, tels Jean le Bon, Du Guesclin, Boucicaut, ou encore Louis de la Trémoille. Une chose n'en est pas moins certaine : le chevalier idéal, dans l'imaginaire collectif de l'époque, ne fuit pas. La constatation peut paraître évidente. Elle se heurte pourtant à une réalité bien différente : celle de la guerre, où les images stéréotypées s'effacent devant des aspects moins glorieux. La fuite est l'un de ces aspects, auquel les chevaliers n'échappent pas.
[...] Considérant avec défiance la tactique de prédilection des archers montés Hongrois (également appliquée par les Turcs), le biographe de Boucicaut n'y voit qu'une preuve supplémentaire de leur lâcheté. Ces considérations ne sont peut-être pas l'invention d'un esprit revanchard. Des rumeurs ont bel et bien affecté les bons rapports entre l'état-major français et le commandement Hongrois. Michel Pintoin témoigne des dissensions qui eurent lieu à propos de la tactique à adopter. On le sait, le roi Sigismond de Hongrie et ses conseillers prièrent les Français de ne pas placer la cavalerie à l'avant-garde. [...]
[...] La piétaille qui n'a pour seul souci que de garder la vie sauve, est sujette au mépris. Cette présentation archétypale des fuyards est un procédé supplémentaire pour rehausser le prestige des chevaliers Les prescriptions morales rigoureuses proposées par ces textes n'ont pas force de loi. D'une certaine façon, elles reflètent pourtant, avec une part d'exagération, les normes morales auxquelles pouvaient s'astreindre les nobles, jusqu'à la fin du Moyen Age. Au-delà des traités militaires et de l'évolution de la réflexion théorique sur la guerre et ceux qui la mènent, on comprend que la chevalerie reste attachée à des valeurs très traditionnelles. [...]
[...] Il est certain que l'éventualité d'être capturé, puis rançonné, peut à elle seule pousser les plus grands à déguerpir avant le dénouement de la bataille. On trouve des exemples de rançons très lourdes : celle du roi de France Jean II, qui avait refusé de se rendre lors de la bataille de Poitiers, coûte au royaume trois millions de livres et prêt de la moitié des territoires français. Le connétable Du Guesclin, rançonné à deux reprises, finit par vendre les terres que lui avait accordées Henri de Trastamare, pour payer ses dettes. [...]
[...] La guerre est pour lui une affaire d'honneur. On retrouve cette sensibilité dans le Tragicum argumentum de François de Monte Belluna, même si l'auteur, dominicain, reste plus attaché à une lecture providentialiste de l'évènement Le roi, qui n'aurait pas dû s'exposer en personne sur le champ de bataille, a des circonstances atténuantes : il a défendu son pays avec bravoure. La noblesse, par contre, n'a pas fait son devoir. C'est cette incompétence qui semble susciter les plus vives critiques de François de Monte Belluna : les chevaliers, par leur fuite, ont abandonné leur roi, leur pays, et provoqué la colère de Dieu ; leur crime est un véritable péché L'auteur anonyme de la Complainte de la bataille de Poitiers se montre encore plus critique contre les seigneurs qui ont fui. [...]
[...] Comme à Poitiers (et pour d'autres défaites), on se tourne vers le coupable le plus évident. Les fuyards constituent une cible idéale, d'autant plus si ce sont des étrangers 2.) Un pamphlet contre les fuyards : l'exemple du Livre des quatre dames. De tous les textes médiévaux hostiles aux fuyards, le Livre des quatre dames d'Alain Chartier est peut-être le plus véhément Proche du dauphin Charles (futur Charles VII), dont il devient notaire et secrétaire général à partir de 1418, Alain Chartier est un auteur Philippe de MEZIERES, Epistre lamentable et consolatoire, éd. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture