Les problèmes ont commencé six jours après ma naissance, en 1542. C'est ce jour-là que mon père, le roi Jacques V d'Écosse, eut la fâcheuse idée de mourir. Je fus aussitôt déclarée reine des Écossais. Il était trop tard pour faire marche arrière, je n'étais de toute façon pas très consciente de grand-chose, et il va sans dire que ce qui venait de me tomber dessus sonnait comme la pire malédiction que l'on pût imaginer. Maris, Reine des Écossais ! Joli titre, mais lourd à porter. On ne choisit pas grand-chose ici-bas. Les événements s'abattent sur vous comme il plaît à Dieu de les voir s'organiser. Trouver sa liberté suppose d'assumer les circonstances, de vouloir ce qui arrive, de décider, fut-ce après coup, que le destin qui survient est bien celui que l'on a souhaité. J'ai essayé de vivre de la sorte. Eh bien, soit ! J'étais la reine des Écossais, d'Aberdeen à Glascow, du mur d'Hadrien aux côtes découpées du nord, du cœur d'Édimbourg aux paysages sauvages de l'île de Skye. Ce vaste territoire balayé si souvent par le vent, battu par des pluies incessantes, quelquefois réchauffé par un vibrant soleil, ce vaste territoire et la population qui l'habitait étaient miens. Je me devais de les servir de mon mieux. Avec passion. Avec courage. Avec dignité. C'est ce que je me suis efforcée de faire, jusqu'à la fin. La fin aussi, je l'ai voulue, souhaitée, choisie. Comme le reste. Comme tout. Ma fin fut mon commencement. L'échec de ma vie n'en est pas un. La fin n'a pas d'importance : seule compte l'éternité. Ma religion célèbre les défaites, les échecs, les souffrances, parce qu'ils nous rapprochent de Dieu. Christ sur la croix souffre, bien sûr, mais seulement alors il devient qui il est. Seulement alors il accède au statut de divinité. Ma mort sur l'échafaud fait de moi une héroïne de l'histoire de l'Europe, au même titre sans doute que ma cousine, Elizabeth, qui a décidé de m'envoyer dans l'autre monde. Indiscutablement, elle et moi sommes liées pour l'éternité des siècles et des siècles.
[...] Pour la réalisation de tout ceci daigne Votre Excellence compter sur mon service ! Je jure et proteste devant la face du Dieu Tout Puissant (qui a longtemps et miraculeusement préservé Votre Personne sacrée, sans nul doute pour le bien futur de tous) que ce que j'ai dit sera exécuté, ou que nous y perdrons avec joie nos vies. Ce serment, tous les principaux participants de cette entreprise l'ont solennellement prêté et, quand ils auront reçu des assurances de Votre Majesté dans les lettres qu'elle m'adressera, ils se proposent de recevoir la Sainte-Eucharistie comme gage d'ailleurs résolution soit de triompher au nom de l'Eglise et de Votre Majesté, soit de mourir avec joie pour cette honorable cause. [...]
[...] Le récit tragi-comique de la pauvre dupe a des accents de vérité qui ne trompent pas. Mais s'il est clair qu'Elizabeth voulait me faire empoisonner, évitant ainsi le fracas d'une exécution judiciaire, il l'est aussi que sir Amyas Poulet, s'il était un geôlier sévère, du moins n'avait pas l'âme basse. Mon attitude au cours de mon procès avait pu paraître à certains instants quelque peu fuyants. En revanche, à partir du moment où mon sort ne fit plus de doute à mes yeux, je l'acceptai avec une résignation de sainte et une dignité de reine. [...]
[...] J'étais plongée dans la nuit, mais le jour approchait. Les deux suivantes me quittèrent alors avec tristesse. Je m'agenouillai sur le coussin. Au même instant, très résolument et sans nul signe de frayeur, je dis haut le psaume latin : In te Domine confido Je cherchai à tâtons le billot, y posai ma tête, en plaçant mon menton dans mes deux mains, ce qui me les eût fait couper par l'exécuteur si d'aventure je les avais gardées dans cette position sans que l'on y prît garde. [...]
[...] Pendant les dix-neuf années qui suivirent, j'allai de château en château, sous liberté surveillée, tandis que ma cousine se demandait ce qu'elle allait bien pouvoir faire de moi pour que je la laisse enfin tranquille. Finalement, en 1587, Elizabeth fut persuadée par son entourage que tant que je resterais en vie, je représenterais une menace pour son trône. Entre 1582 et 1586, les complots s'étaient succédé contre le gouvernement d'Elizabeth. Ils étaient tous d'origine catholique et semblaient calqués sur un même patron, que leurs chefs aient pour nom Parry, Throckmorton ou Creighton. [...]
[...] Lors tous les hommes sortent de ma chambre avec les pleurs et sanglots, plus forts qu'auparavant. Je me mis en prières un long moment avec mes filles. Puis je me mis à compter mon argent et à le mettre dans des bourses à raison d'une bourse par personne de ma maison, avec le nom de chacun écrit de ma main à l'intérieur. Mon souper étant prêt, je me mis à table comme à l'habitude. Je mangeai peu, comme à l'accoutumée. [...]
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