Qu'est-ce qu'un Etat impartial ou un système judiciaire indépendant ? Que désigne exactement le terme de "parité" que l'on voit depuis peu régulièrement opposé à ceux de "majorité", "minorité", "représentativité", par exemple à propos du nombre de femmes que devraient compter les différentes instances du gouvernement ? A quelle conception du politique et du bien public renvoie la revendication paritaire ? Quels types d'arbitrage doit poursuivre l'état en matière religieuse : celui d'un engagement minimal en se bornant à garantir la liberté des consciences et l'égalité de tous les citoyens devant la loi ? Ou celui qui le conduirait à veiller plus directement à l'organisation même de la coexistence confessionnelle ?
Sur quels types d'accord plusieurs religions peuvent-elles coexister : sur la loi équitable et universelle d'un état central gouvernant au nom du bien commun ou sur des compromis bilatéraux n'engageant que les parties signataires ? Après l'épisode hussite, important mais géographiquement circonscrit, c'est en fait au XVIe siècle que se posent pour la première fois en Europe ces questions, du moins en ces termes et avec le même sentiment d'urgence qu'aujourd'hui.
Avec des nuances, les appels à la réconciliation, à la Concorde ou à la réunion des Églises se multiplient, en vain.
Les « paix de religion » se comprennent, dans le contexte particulier qu'est le leur au 16e siècle, comme réponse à l'éclatement confessionnel et à l'échec des formes traditionnelles de réunion.
Selon l'auteur, l'échec des colloques précipite l'intériorisation et le durcissement des choix religieux personnels et grève ainsi les chances futures de la politique de compromis doctrinal. De plus, les horreurs de la guerre civile accentuent les dissensions religieuses. Elles renvoient en fait les souverains aux incohérences de leur propre politique, qui fait alterner sans véritable logique persécutions et compromissions, répressions et manipulations.
[...] Faut-il rappeler que jamais la paix d'Augsbourg ne fut abolie dans l'Empire, y compris pendant la guerre de Trente Ans, et que les traités de 1648 ne firent qu'en reprendre et en développer les principes fondamentaux ? Plus que l'échec de la coexistence confessionnelle, l'étude des paix de religion au XVIe siècle révèle peut-être l'échec d'une certaine historiographie, trop attachée aux formes revêtues par l'état national des XIXe-XXe siècles, trop encline aussi au centralisme, pour savoir reconnaître la modernité ailleurs que dans les monarchies centralisées (France, Angleterre, états territoriaux . [...]
[...] ) expriment cette aspiration et cette conviction que l'état central peut et doit protéger les confessions reconnues dans la paix. Ces documents, dont il faudrait entreprendre le recensement, n'émanent pas de doux rêveurs, ni d'inconscients. Ils rappellent, au contraire, que l'histoire n'est pas un processus linéaire, mais le résultat d'une multiplicité de choix, petits ou grands, le produit de conflits et d'arbitrages, la somme d'hésitations, d'illusions et de désillusions, de solutions sans lendemain et de retour en arrière fructueux. Rupture historiographique Pour rompre avec les célébrations téléologiques de la modernisation et de la sécularisation ou les déplorations convenues sur l'intolérance religieuse, pour comprendre les incertitudes, les hésitations et les espoirs des acteurs historiques confrontés à une situation à la fois inédite, déroutante et menaçante, il faut sans doute renoncer à dégager un modèle unique d'État moderne. [...]
[...] En ce sens, j'ai cherché ici à parler moins de "modernisation " ou de "sécularisation " dans un sens très général que d'automatisation de la raison politique, c'est-à-dire de l'émergence d'un espace (partiellement autonome) dans lequel les enjeux politiques sont pensés comme devant être distingués, isolés, préservés des problèmes confessionnels. Le champ politico-juridique s'est ainsi peu à peu défini, précisément autour de la période étudiée ici, comme le lieu où reconstruire (à l'échelle d'un village, d'une ville ou d'un royaume) l'intérêt général, le bien commun, que la religion ne pouvait plus incarner Cette automatisation de la raison politique - attachée au contexte particulier que Carl Schmitt a identifié - bénéficie à l'État central et à ses agents, comme aux états territoriaux, mais aussi plus largement aux détenteurs de compétences juridiques, y compris au niveau local Les conflits théoriques sur l'État, la religion et la religion de l'état dans l'Europe des guerres confessionnelles ne sont pas par conséquent de purs débats d'idées, mais ils renvoient à des pratiques, à des enjeux et à des groupes politiques concrets. [...]
[...] Ses propositions et sa conception très novatrice de l'Empire suscitent la méfiance au sein même de l'entourage de Charles Quint, par exemple chez Thimoteus Jung, conseiller impérial. De son côté, M. de L'Hospital, après son échec du colloque de Poissy, en vient à occuper des positions presque opposées et à organiser la coexistence confessionnelle par les Édits d'Amboise et de Crémieu. Au terme de parcours relativement semblables, ils manifestent leur défiance face à la Contre-Réforme pour prôner une coexistence confessionnelle large, instaurée et garantie par l'État central. [...]
[...] Ce que poursuivent ces artisans anonymes de la paix ne relève pas de l'accommodement de gré à gré, mais bien davantage du compromis durable et justifiable. Ils doivent donc être en mesure de pouvoir identifier le principe au nom duquel ils acceptent de traiter avec leurs adversaires, mais aussi de donner aux compromis qu'ils concluent une forme juridiquement valide. V. Majorité, parité, unanimité Pour mettre fin aux dissensions et empêcher le retour des troubles, les artisans de la paix se sont contraints non seulement à inventer les formes, les lieux et les justifications du compromis entre confessions, mais aussi à dire, en période de crise, ce qu'est un corps politique rassemblant tous les habitants d'une cité ou d'un État, en dépit de leurs différences. [...]
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