Claude Cahen (1909–1991) a consacré une grande partie de son œuvre d'historien du Moyen Âge islamique au renouvellement de l'étude de l'histoire des Croisades. Sa thèse de doctorat intitulée "La Syrie du Nord à l'époque des Croisades et la principauté d'Antioche", achevée en 1938, publiée en 1940, faisait déjà preuve d'une volonté d'en finir avec une historiographie idéologique, héroïque et mythique des Croisades et de l'Orient latin par un travail attentif sur les sources musulmanes.
Il s'agissait déjà pour Claude Cahen de travailler moins sur une épopée que sur une époque : les Croisades ont lieu à un moment donné de l'évolution des sociétés orientales et s'inscrivent dans des réseaux, extérieurs à elles, de relations politiques, religieuses et économiques particulières. La publication d'"Orient et Occident au temps des Croisades" s'inscrit dans l'esprit de sa thèse : il prend notamment conscience des limites d'une recherche sur l'Orient latin qui n'aurait pour grille de lecture que celle d'une expansion occidentale au Proche-Orient.
[...] Quant aux chrétiens d'Orient différentes attitudes de leur part ont pu exister. Des volontaires viennent se joindre aux troupes croisées mais l'adhésion au projet de la Croisade n'est le fait que de quelques Arméniens de Cilicie divisés et belliqueux et de maronites monothélites. Une grande partie des chrétiens d'Orient apparaissent comme relativement neutres. L'évolution des évènements va toutefois conduire à un rejet à terme de l'entreprise croisée par l'Orient, tandis qu'un désenchantement saisit l'Occident à la fin de la première Croisade. [...]
[...] L'ouvrage peut paraître parfois manquer de distance par rapport aux sources. On sait que Cahen se méfiait des grandes théories englobantes et stylisées et de leurs généralisations abusives ; mais son ouvrage aurait peut-être pu gagner quelque clarté si son regard, de temps à autre, se montrait plus synthétique. En définitive, l'historiographie des Croisades a connu de nombreuses variations au cours des siècles : louée au Moyen Age dans les milieux proches de l'Église comme entreprise héroïque de la chrétienté, décriée à l'époque moderne dans les milieux laïcs ou protestants comme l'entreprise obscurantiste et ambitieuse de la papauté, admirée par les romantiques comme un mouvement émancipateur de ferveur populaire puis à nouveau décriée comme entreprise expansionniste et coloniale. [...]
[...] De plus, le rôle croissant des Italiens culmine avec l'effondrement des féodalités d'importation. L'Orient latin finit par ne plus être, au XIIe siècle qu'un lieu où se maintiennent comptoirs et colonies agricoles de petites tailles, spécialisées dans l'économie du sucre et du vin. Ce monde est défendu et administré par les Républiques italiennes et les monarchies d'Occident (France, Saint-Empire). Le monde latin finit donc progressivement par oublier la Croisade qui l'a engendré et qu'il a pu susciter pour son secours. [...]
[...] S'il y a bien une volonté expansionniste au début de la Croisade, celle-ci s'est tue au profit d'un monde marqué par le commerce. La Croisade n'a donc eu somme toute qu'une incidence relativement limitée sur les États dits croisés eux-mêmes : ceux-ci ne sont finalement, comme l'affirme Claude Cahen, que des États comme les autres C'est dans ce cadre qu'une région comme la Syrie a pu connaître, et ce de façon continue un essor aux XIIe et XIIIe siècles, malgré une permanence des guerres et l'occupation du littoral. [...]
[...] L'Islam domine politiquement mais laisse la place à la coexistence au sein des territoires qu'il domine à différentes confessions. Il y a une différence majeure entre guerre sainte extérieure (djihad) et tolérance intérieure (dhimma), à ne pas sous-estimer même s'il y a pu y avoir des traitements discriminatoires. Claude Cahen montre par ailleurs que l'accueil des chrétiens orientaux à l'Islam est loin d'être négatif : le début des Croisades coïncidant avec le mouvement de la conquête turque seldjoukide, les Églises catholiques non grecques ont pu se trouver heureuses d'échapper au contrôle de l'Église byzantine malgré la rudesse de la conquête. [...]
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