L'historiographie associe généralement au XIXe siècle l'émergence d'un nouveau modèle politique en Europe occidentale, celui de l'Etat-nation rationalisé et moderne. La France, l'Angleterre et l'Allemagne se distinguent alors aisément des empires absolutistes et archaïques d'Europe centrale et orientale, nommément l'Autriche, la Russie et l'Empire ottoman.
Jane Burbank et Frederick Cooper s'attachent précisément à déconstruire, ou du moins relativiser cette vision de l'Europe du XIXe siècle en proposant de dépasser « les dichotomies opposant modernité et tradition, empire maritime et empire continental, empire et Etat-nation, colonie et métropole ».
[...] Ainsi, les crises du début du XXe siècle, à commencer par la Première Guerre mondiale, peuvent être interprétées comme le prolongement d'un système de concurrence entre empires. Les ressources matérielles et humaines mobilisées à l'échelle mondiale dépassent largement le cadre de la nation. A cette logique impériale appartiennent les empires austro- hongrois, russe et ottoman, au même titre que les empires d'outre-mer comme la France et la Grande-Bretagne. La Première Guerre mondiale ne traduit donc pas un conflit entre principe de nationalité et structures archaïques des anciens empires mais devient plus intelligible en considérant l'affrontement permanent des empires européens au XIXe siècle. [...]
[...] Les vieux empires continentaux connaissent des réformes modernisatrices. Dans l'optique de dépasser la séparation de l'Europe en deux, entre autocraties orientales et Etats modernes d'Europe occidentale, Frederick Cooper et Jane Burbank mettent en exergue l'ambition des empires perçus comme archaïques de se réformer en profondeur. En Russie, le tsar Alexandre II poursuit de fait une série de réformes libérales significatives. L'abolition du servage, la reconfiguration du système judiciaire, le renforcement des autonomies locales, le développement de la production industrielle ou encore la construction de réseaux de communication et de transport démontrent que la Russie inaugure un processus d'innovation politique, sociale et économique. [...]
[...] En premier lieu, la vision d'un colonialisme moderne, rompant avec les empires traditionnels, repose sur l'amplification de l'importance des justifications par l'apport d'une civilisation supérieure à l'outre-mer. En effet, si certains intellectuels, comme Leroy-Beaulieu, fondent la colonisation sur la croyance en une supériorité civilisationnelle et un devoir de diffuser le progrès, inspirant notamment Jules Ferry, il ne s'agit que d'une lecture parmi d'autres Cette position ne peut représenter la totalité de la réalité coloniale au point de bâtir un impérialisme d'un type nouveau. [...]
[...] Par conséquent, la notion de modernité reste trop vague et trop floue pour recouvrer ou distinguer des situations contrastées. Les stratégies d'exploitation incohérentes révèlent le pragmatisme des Européens qui poursuivent des objectifs économiques et géopolitiques. Au Congo belge, propriété personnelle du roi Léopold II, des investisseurs extraient des matières premières par le travail forcé, sans développer de projet à long terme pour la population ni pour le territoire. Cette situation est comparée par les auteurs au Pérou du XVIe siècle, dénotant le manque d'inventivité coloniale. [...]
[...] Par conséquent, l'innovation politique du XIXe siècle ne tend pas uniquement vers la formation d'Etat-nations unitaires. Les empires sont partis prenants de ce processus. La présentation des vieux empires continentaux comme des Etats figés dans l'absolutisme et voués au déclin face aux nations modernes est donc plus que simplificatrice. Ces empires n'ont pas connu une mort naturelle due à leurs propres faiblesses. Ils ont été les perdants, de justesse, dans une guerre entre empires, la Première Guerre mondiale Cela nous amène à questionner les formes prises par l'impérialisme européen outre-mer. II. [...]
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