« L'homme ne devient homme (…) que grâce aux bruissements d'histoires ». C'est par cette citation de Michel Tournier que débute l'ouvrage de Sarah MAZA, Vies privées, affaires publiques. Les causes célèbres de la France prérévolutionnaire. Or, des histoires, c'est ce que sont les mémoires judiciaires, des histoires qui vont avoir une répercussion sur une opinion publique embryonnaire. Sarah MAZA, professeur d'histoire à la Northwestern University et spécialiste de l'histoire culturelle et sociale des XVIIIe et XXe siècle, avait déjà pris conscience du potentiel des mémoires judiciaires dans un article paru dans les Annales. Histoire, Sciences sociales en 1987 sur « Le tribunal de la nation : les mémoires judiciaires et l'opinion publique à la fin de l'Ancien Régime », tandis que les liens entre littérature et représentation sociale étaient étudiés dans son livre Servants and Master in Eighteenth-Century France, publié en 1983. Vies privées, affaires publiques a remporté le David Pinkney Prize of the Society for French Historical Studies. Elève de Robert DARNTON, elle se place dans un courant historiographique inspiré des thèses de L'Espace public de Jürgen HABERMAS, pour qui la naissance de la sphère publique, alternative à une monarchie de plus en plus désacralisée, est saisissable à travers « l'explosion d'une sociabilité » variée, comme les salons, la presse, les clubs... Or pour Sarah MAZA, les mémoires judiciaires qui relatent les causes célèbres des décennies précédent la Révolution française ont reflété et contribué à la transformation de la culture politique publique de cette période. Il s'agit donc de voir comment interagissent la réalité, la mise en scène de celle-ci à travers les mémoires et l'impact de ces derniers sur le public. Les sources utilisées pour ce travail sont bien sûr les mémoires eux-mêmes, mais également le journal du libraire parisien Siméon-Prosper Hardy et les Mémoires secrets, ainsi que les livres des hommes des Lumières et les réflexions juridiques, en particulier des avocats, car il s'agit plus de saisir la le retentissement des affaires que les affaires elles-mêmes. Le livre est composé de 6 chapitres, chacun avec une ou plusieurs affaires similaires comme fil directeur, mais se répartissant aussi de façon chronologique : on commence par réhabiliter Calas en 1762 pour finir par juger Kornmann en avril 1789, juste avant l'ouverture des Etats généraux. Après m'être intéressée au mémoire en lui-même, je traiterai de l'influence des lettres, en particulier du théâtre, sur l'écriture des mémoires avant de terminer par une chronologie des causes célèbres.
[...] Les avocats de ces causes sont fortement influencés par le traité, publié en 1754, Dei delitti e delle pene de l'Italien Beccaria, qui prône une justice plus humaine. Les mémoires dénoncent ainsi un système barbare, illogique et lent, ainsi que les lettres de cachet, symboles du pouvoir arbitraire. Des imprécisions de Sarah MAZA sur le système judiciaire de l'Ancien Régime sont à relever ici, car il est acquis aujourd'hui que la torture était réglée et jamais gratuite, et que l'expression condamner aux galères signifie envoyer au bagne à partir de 1748. [...]
[...] Les mémoires utilisent de façon paradoxale une rhétorique égalitaire pour des affaires touchant la haute société. Cette haute société utilise ces mémoires popularisées par les précédentes affaites pour régler ses comptes, élargissant alors le public de la continuelle mise en scène de sa vie. En effet, la noblesse d'Ancien Régime se caractérise par une théâtralité continue, dont les mémoires semblent alors une extension naturelle. Mais cette pratique démystifie son pouvoir, voire laisse éclater sa corruption et ses intrigues, comme lors de l'affaire de Guines qui voit s'affronter en sous-main les clans de Choiseul et d'Aiguillon, suite à l'emprisonnement pour escroquerie du secrétaire du duc de Guines. [...]
[...] Le second facteur découle de cette théorie, car la monarchie française connaît une désacralisation et ses attributs féminins, comme la représentation et le fonctionnement par maisonnée, sont critiqués, car soupçonnés de former un despotisme à l'orientale. Ainsi, ces affaires au sein d'un couple sont donc plus intimes que jamais et aussi plus explicitement politique. La question de l'adultère est au centre, car on craint que cet apanage des nantis ne se transmette au reste de la population et donc affaiblisse la nation. [...]
[...] Or pour Sarah MAZA, les mémoires judiciaires qui relatent les causes célèbres des décennies précédant la Révolution française ont reflété et contribué à la transformation de la culture politique publique de cette période. Il s'agit donc de voir comment interagissent la réalité, la mise en scène de celle-ci à travers les mémoires et l'impact de ces derniers sur le public. Les sources utilisées pour ce travail sont bien sûr les mémoires eux-mêmes, mais également le journal du libraire parisien Siméon-Prosper Hardy et les Mémoires secrets, ainsi que les livres des hommes des Lumières et les réflexions juridiques, en particulier des avocats, car il s'agit plus de saisir la le retentissement des affaires que les affaires elles-mêmes. [...]
[...] Après avoir vu la forme du mémoire, à travers le support et sa rhétorique, il est temps de s'intéresser à la chronologie des affaires, non pas pour répertorier les affaires célèbres, mais pour apprécier l'évolution des mémoires qui leur ont été consacrés, On peut alors distinguer quatre temps, dont les thèmes différents cependant s'ajoutent successivement les uns aux autres. Jusqu'en 1778 environ, on constate une tendance à la lutte contre l'arbitraire et le despotisme. Si celle-ci commence dès les années 1720 avec la lutte janséniste, ce sont les mémoires de Voltaire pour Calas en 1762, dans lequel il postule l'existence du public, juge de l'honneur et de la honte, [qui] réhabilite et son intérêt pour les affaires privées. [...]
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