La notion de droit naturel, contrairement à ce qu'on pourrait être amenés à penser, n'est pas une invention des Lumières, puisqu'on la retrouve même dans la philosophie d'Aristote. Cependant, on parle moins d'une justice universelle que d'une désignation du rôle de chacun par la nature, ce qui justifierait l'esclavage dans la mesure où l'ordre hiérarchique aurait instauré des rapports entre les maîtres et les dominés. Aristote, s'il défend le respect de cette volonté naturelle, condamne les dérives dominatrices abusives (servitude conventionnelle).
Pour les Lumières, c'est la raison qui légitime ou non, et nul ne peut la contredire. Cependant, la nature n'en est pas moins prise en compte dans la mesure où le droit naturel est considéré la base des législations. La vérité apparaît alors comme éternelle, universelle et immuable, et elle rapprocherait les hommes de l'idée du juste. De plus, comme la volonté de la nature est l'épanouissement du genre, tout comportement violentant un individu contredirait cet objectif naturel et serait condamnable.
L'esclavage ne peut donc qu'être contre nature, qui n'en accepte aucune forme, contrairement à ce que défendait Aristote, car la loi naturelle instaure les notions de liberté et d'égalité comme valeurs universelles et éternelles. Les Lumières étaient donc idéologiquement et ouvertement opposés à l'esclavage, mais ce qui paraît frappant est le fait qu'ils ne se soient jamais prononcés contre la base légitimante de celui-ci : le « Code Noir ». Rédigé par Colbert en 1685 à la demande de Louis XIV, il constitue le support juridique de ces pratiques coloniales et est extrêmement dur à l'égard des Noirs, associés racialement aux esclaves, à des objets.
L'objectif de l'ouvrage d'Estève est donc de montrer l'effacement du droit naturel en ce qui concerne l'esclavage à travers l'analyse des principaux ouvrages de Montesquieu, de Rousseau et de Diderot.
[...] Montesquieu cherche à établir un lien entre les climats et les législations et institutions politiques. Il poursuit la thèse de l'assimilation du tempérament à un endroit géographique et il insiste sur l'importance de l'air dans les manières des Noirs, qui seraient présupposés vicieux et faibles d'esprit, ce qui confirmerait l'équation noirceur de peau = noirceur d'âme. L'Europe serait l'endroit de l'harmonie entre une capacité à développer des vertus et un air particulier qui permettrait d'échapper en quelque sorte au déterminisme géographique. [...]
[...] Il serait nécessaire de relativiser la portée universelle de leurs théories englobant le genre humain afin de ne pas nier la souffrance de multitude de peuples ayant souffert de la perte de liberté et du refus que les Européens ont fait de leur propre Histoire. L'esclavage est en effet un fer qui a marqué l'avènement de nos sociétés et qui a créé un traumatisme dont on peut encore saisir les séquelles. Il ne faudrait cependant pas faire d'anachronisme en condamnant les Lumières, mais les communautés héritières de l'esclavage nécessitent la reconnaissance de l'humanité par rapport à leur passé, souvent nié et volontairement oublié. [...]
[...] Par exemple, un pays qui déciderait d'en conquérir un autre serait en train de violer ce droit naturel dans la mesure où il soumettrait ses habitants au malheur de la soumission et de l'esclavage. Il propose aussi une définition de l'homme en rapport au genre humain. L'homme se distingue donc de l'animal par sa capacité à développer une dignité morale. Diderot fait alors référence à un code naturel, celui que suit le Noir au plus près, en quelque sorte comme s'il était dans la jeunesse humaine ce qui ne veut pas dire qu'il est en retard par rapport aux Européens, mais plutôt qu'ils ont une innocence originelle. [...]
[...] Le maître infantilise l'employé, allant même jusqu'à s'approprier ses volontés, et celui-ci devient, de la sorte, un objet, un esclave. La servitude est donc vécue comme la liberté. Troisième partie. Diderot : de l'unité du genre humain aux ambiguïtés de la civilisation Diderot, pour l'auteur, est un des seuls qui abordent pleinement le problème de la traite des Noirs, qu'il associe explicitement à un crime. Ainsi, il oppose l'esclavage du droit naturel, dont les limites sont le bonheur de l'espèce. [...]
[...] Ainsi, la théorie des climats aurait mis une frontière entre les pays du Nord et ceux du Midi, ce qui aurait débouché sur un ethnocentrisme poussé. Les Lumières, et notamment ses trois figures principales (à savoir Montesquieu, Rousseau et Diderot) sont en partie responsables de ce rejet de l'étranger différent. En effet, en prônant le droit naturel, ils lui donnent un caractère universel qui masque le problème de la traite des noirs et de la réduction en esclavage d'êtres humains. [...]
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