L'année 1492 n'est pas significative que pour l'histoire de l'Amérique. Pour celle des juifs également, cette date représente un tournant. Non moins lié à la couronne de Castille par ailleurs. Isabelle la Catholique avait en effet décidé à cette date l'expulsion de tous les juifs de son royaume. Parmi eux se trouvaient les parents de Joseph ha-Cohen, qui, du fait de leur émigration dans le Sud de la France, donnèrent naissance à leurs enfants à Avignon. Le père de Joseph ha-Cohen semble avoir eu des notions de médecine, suffisantes en tout cas pour qu'on lui ait attribué la traduction en hébreu du Livre de médecine de Méir Alguades. Il n'est donc pas étonnant que le plus connu de ses fils en partie embrassât la même carrière de traducteur et d'auteur, à la différence qu'il élargit le champ de son érudition au-delà du domaine médical, se formant à l'histoire, la philologie, la grammaire ou encore la géographie. Mais si Joseph ha-Cohen semble avoir effectué un important travail de traduction, c'est bien pour les ouvrages qu'il rédigea entièrement lui-même qu'il passa à la postérité, et particulièrement grâce à deux d'entre eux. Le premier fut une Chronique des rois de France et des rois de la maison ottomane, le second La vallée des Pleurs, celui que nous nous proposons d'étudier aujourd'hui. Il semble en effet bien réunir deux aspects du contexte historiographique de l'époque. D'une part en illustrant le regain d'intérêt des érudits de la Renaissance pour la discipline historique. D'autre part en montrant l'impact de 1492 sur les savants juifs en particulier. Le livre traite en effet des malheurs et des persécutions endurées par les juifs à l'époque de l'auteur.
On peut donc se demander comment un personnage qui apparaît autant comme un historien que comme un juif marqué par la montée de l'antisémitisme traita de l'histoire de son peuple.
[...] En effet, plus le juif se voyait en victime dans ces ouvrages, plus il était conduit, dans l'idée que Dieu régit la vie des hommes, à se demander pourquoi il était puni et donc par là, snon pas à changer (Dieu ne punit pas les juifs en tant qu'individu selon Joseph ha-Cohen mais en tant que groupe) mais à prier pour demander le pardon des fautes passées. En se plaçant ainsi vis-à- vis d'une telle historiographie, on atténue d'autant son rôle dans la victimisation du peuple juif tel que pourrait lui affecter un regard contemporain. Joseph ha-Cohen ou Samuel Usque avaient en effet moins l'intention de dépeindre une réalité faite uniquement de persécutions et d'exécutions que d'inciter leurs lecteurs à une plus grande repentance et une plus grande ferveur. [...]
[...] Lorsqu'ils tentent de convertir, c'est exclusivement par la force. La force physique d'une part, lorsque l'auteur prête aux Portugais d'avoir exécuté publiquement des juifs pour mieux mener les autres à l'apostasie. La corruption également, lorsque ces mêmes Portugais, par l'intermédiaire de leur souverain, sont décrits comme ayant proposé monts et merveilles à ceux des juifs qui auraient accepté d'abjurer leur foi. Mais même lorsque les persécuteurs emploient moins la violence physique, comme ici, ils mentent et trahissent ce qui ajoute au sentiment de vulnérabilité et de fragilité du peuple juif. [...]
[...] Ce texte est finalement une prière. Une fois encore, c'est dans son petit paragraphe introductif que nous en avons la plus explicite des confirmations, lorsque Joseph ha-Cohen supplie Dieu de libérer le peuple juif de ses tourments : guéris ma douleur, car il n'est pas encore de guérison à ma chaire Ceci posé en début d'ouvrage, il n'est donc pas étonnant de voir ce genre de supplique se répéter tout au long du récit : après avoir décrit un nouvelle événement de son larmoyant récit, l'auteur appelle Dieu à [accourir] à notre aide, Dieu de notre salut, soutiens notre cause et sauve nous (en parlant des juifs). [...]
[...] Joseph ha-Cohen semble donc s'être presque exclusivement concentré sur les persécutions vis-à-vis des juifs et sur l'intense cruauté avec laquelle il considère qu'elles furent perpétrées, dans le but avoué d'apitoyer son lecteur. Mais en analysant plus profondément ce texte, il apparaît que cette approche fut à la base d'une outrance quasi- systématique qui déforma considérablement la réalité des faits. Certes la diversité des points de vue conduit à rejeter la notion de vérité unique en histoire ; néanmoins il est possible de considérer que la relation de tel ou tel évènement ne reflète pas la réalité, ce qui est le cas à dans de nombreux passages de La Vallée des Pleurs. [...]
[...] Néanmoins, on fut loin des sortes de Massada que Joseph ha-Cohen décrit à certains moments. Ainsi une mère précipitant sa progéniture et elle-même à la mer pour échapper à un capitaine de navire chrétien fut-il un épisode beaucoup moins récurrent que la place qui lui est donné dans le texte. A l'inverse, et même si Joseph ha-Cohen en fait néanmoins le récit, les apostats et les exilés furent certainement beaucoup plus nombreux que les victimes de l'intransigeance chrétienne et maure. [...]
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