A priori, jansénisme et Lumières semblent radicalement différents : au rigorisme austère du courant janséniste s'oppose l'agitation des Lumières et ses combats contre l'Église (en témoignent les joutes célèbres entre Voltaire et Pascal), parce que l'Aufklärung allemand se veut chemin vers la clarté contre l'« obscurantisme clérical » des jansénistes. Les Lumières, menées par des écrivains comme Voltaire, Rousseau ou Diderot et se définissant autour du tryptique raison-tolérance-vertu, ont souvent été amalgamées avec la Révolution française, bien que l'on n'y retrouve point la « verve antichrétienne » chère à Voltaire. Or il existerait une véritable influence du jansénisme sur le siècle des Lumières, à tel point que les jansénistes seront accusés d'être les instigateurs de la Révolution française. En effet, le jansénisme, né des travaux de l'évêque d'Ypres Jansenius, prônant la « corruption foncière » de l'être humain soumis à la grâce divine, et s'inscrivant en faux contre le courant humaniste qui rend l'Homme maître de son destin, a dès le XVIIe siècle noué une relation trouble avec le pouvoir royal : lors de la Guerre de Trente Ans, les jansénistes s'opposent à Richelieu en apportant leur soutien aux Habsbourgs contre le protestantisme. Le Mars Gallicanus, pamphlet de Jansénius contre la politique de Richelieu, ne fait que renforcer la suspicion autour des jansénistes. Néanmoins, le jansénisme n'est à l'époque pas une secte marginale : il est intégré dans l'Église (au sein du catholicisme gallican) et dans l'État, Port-Royal, haut lieu de spiritualité, prospère grâce aux Pensées de Pascal, aux Essais de Nicole ou aux Instructions chrétiennes de Saint-Cyran. Un tournant s'opère à la fin du règne de Louis XIV : les jansénistes sont persécutés et le monastère de Port-Royal est rasé en 1711. L'Unigenitus papal de 1713 condamne les Réflexions morales du janséniste Quesnel. À la mort de Louis XIV, le jansénisme se renforce : le 12 septembre 1715, le cardinal de Noailles, proche des jansénistes,est nommé à la tête du conseil de conscience. En parallèle se développe au sein de l'Église gallicane un mouvement de contestation de l'Unigenitus mené par quatre évêques nommés « appelants ». En mars 1730, l'Unigenitus devient loi d'État ; le cardinal Fleury entreprend alors la reconquête des paroisses jansénistes. Le scandale des billets de confession entre 1749 et 1754 redonne alors un rayonnement au mouvement : l'opinion s'oppose à la décision du clergé constitutionnaire, hostile aux appelants, d'interdire aux prêtres appelants de rédiger ces billets nécessaires au sacrement. Le jansénisme devient populaire et s'implique dans tous les événements de la deuxième moitié du XVIIIe siècle : ils combattent les jésuites et dénoncent l'irréligion des Lumières. Néanmoins, et c'est là que s'opère une rupture avec le discours tenu auparavant, Jansénistes et Lumières n'ont pas fait que s'opposer : leurs pensées se sont rencontrées et elles ont nourri un dialogue.
[...] Malesherbes, redevenu ministre d'Etat, peut continuer son oeuvre. Mais cet édit se heurte aux oppositions de l'Eglise et du parlement de Paris qui émet des remontrances en janvier 1788. Face à ces évènements, la position janséniste est originale : ils ne sont pas tolérants, ils le deviennent cette évolution de pensée s'opposant au refus de l'Eglise. Ce changement s'opère dans la mouvance dont font l'objet les jansénistes : ils passent en deux siècles du camp des dévots à celui des politiques. [...]
[...] L'affaire Descambous illustre aussi cette évolution des mentalités : en 1783, ce dernier se voit destitué de son héritage, car il n'avait pu présenter le certificat de mariage de ses parents. Son avocat parvient néanmoins à prouver la légitimité de sa naissance et son héritage lui est restitué. Cette tolérance pour les protestants, qu'illustre le mémoire sur les moyens de donner aux protestants un état civil en France du conseiller d'Etat et président du grand conseil Gilbert de Voisins, se heurte cependant à la réticence de Louis XVI, soucieux de ne pas contrarier Rome. [...]
[...] L'appel n'est pas un acte anodin, Louis XIV s'en est même servi dans son conflit contre le pape Innocent XI. Ce n'est pas la notion d'appel qui est révolutionnaire chez les jansénistes, mais plutôt le fait qu'il provienne d'une minorité : l'appel contre la bulle Unigenitus est né de seulement quatre évêques, rejoints ensuite par tous les horizons du clergé L'exemple de cet appel de 1717 pose alors un principe nouveau : l'appel devient une manifestation qui dénonce une unanimité factice Il marque un retournement : l'appel n'est plus une arme contre les jansénistes, mais l'arme des jansénistes. [...]
[...] Les rencontres ne se sont pas faites du simple hasard. Par des structures et de façons de penser communes, par la mobilisation du passé au sein du discours, par l'utilisation dans la pastorale janséniste de préceptes proches des Lumières, ces deux mouvements auront certainement influencé les formes de lutte utilisées au quotidien. Chapitre 7 : Le passé mobilisé Le poids du passé sur le présent est un lieu commun de l'histoire. Il est un modèle critique du présent et porteur d'avenir. [...]
[...] Les jansénistes se placent donc légitimement en victimes de l'arbitraire et des lettres de cachet : 562 jansénistes ont été emprisonnés à la Bastille, dont une minorité seulement pour convulsions. Les grands hommes de l'hagiographie jansénistes ont tous vécu un épisode bastillonaire. Depuis Saint-Cyran, emprisonné à Vincennes par Richelieu, les jansénistes luttent contre la raison d'Etat ; le XVIIIe siècle marque leur lutte contre l'arbitraire. Ils répandent le mythe d'une prison d'Etat faite pour briser les âmes critiquant par extension le système judiciaire, tout comme Voltaire s'insurge contre l'injustice dont est victime Calas. [...]
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