L'arbre et le fruit est un ouvrage qui date de 1984, élaboré par l'ethnographe Jacques Gélis, dans le cadre d'une étude sur l'histoire de la naissance à l'époque moderne : il a écrit entre autre La Sage femme ou le médecin, Naissance et corps, Les Enfants des limbes et Accoucheur de campagne sous le Roi-Soleil.
Dans L'arbre et le fruit, il tente de cerner les comportements autour de la naissance, événement féminin par excellence, dont on dispose de peu de témoignages directs : en effet, peu d'hommes savaient écrire à la campagne (Gélis se penche davantage sur les exemples des campagnes que sur ceux de la ville, qu'il mentionne de temps à autres), et donc encore moins de femmes, qui auraient pu laisser des écrits sur leur vécu. De plus, on ne parlait en général peu des détails que peut donner J.Gélis, par exemple à propos des règles et de la grossesse, dont les médecins se préoccupaient peu tant que tout semblait normal. Il utilise comme sources des passages de rapports de médecins, et surtout des écrits de sages femmes ou d'accoucheurs, des écrits de curés de campagne, et divers livres de raisons. C'est donc cette plongée inédite dans le monde quotidien des femmes de la campagne qui constitue l'un des intérêts principaux de cet ouvrage.
Ensuite, c'est par rapport à la conception générale du monde et de l'homme propre à cette époque que Gélis considère les comportements entourant la naissance, et leur rend leur cohérence et leur dimension profonde.
Enfin, il est souvent question de la volonté qu'ont la médecine et l'Eglise d'influencer ces comportements qualifiés d'irrationnels, de superstitieux et d'impies, en les détruisant ou, dans le cas de la religion, en les récupérant.
Les réactions face à la naissance sont abordées dans leur diversité (dans les différentes régions de l'Occident, et dans leur évolution du XVIème au XIXème siècle). Gélis tente également de rendre compte des comportements au fil du processus de l'enfantement, duquel dépend le renouvellement de la communauté, à partir de la puberté de la jeune fille jusqu'au baptême du nouveau-né. C'est suivant cette chronologie (puberté, règles, mariage, relations sexuelles, grossesse, enfantement, baptême) que l'historien articule son développement sur l'ensemble de l'ouvrage. D'autre part, il aborde en premier les cas où le processus d'enfantement ne rencontre aucun problème particulier, puis se penche sur toutes les complications possibles, allant de la fausse-couche à l'enfant infirme ou mort-né, ces cas à problème étant ce dont les médecins ont laissé le plus de témoignages (...)
[...] Enfin, il y avait les enfants dits douteux qui tardaient à marcher, à parler, qui étaient atteints de rachitisme, de paralysie. Afin de sauver ces individus, on employait des médecines analogiques, on invoquait des saints, on se livrait à des rituels, pratiques païennes que l'Eglise récupéra peu à peu, tels la plongée dans l‘eau et la roulade sur une pierre sacrée. Souvent, on considérait que l'enfant douteux était en fait l'enfant d'une mauvaise fée qui avait capturé le vrai nouveau-né. [...]
[...] La salvation de l'âme était essentielle: elle permettait à l'enfant de ne pas être une âme errante qui serait revenu hanter les parents ou les proches. Lorsque la naissance se déroulait bien, et que l'enfanté tait hors de danger, on préparait le grand baptême, celui qui était si important dans la vie de la communauté. Il pouvait se dérouler de quelques heures après la naissance jusqu'à six jours suivant les régions, mais le plus tôt était préférable, car avant, l'enfant était susceptible d'être victime de mauvaise magie, et bien sûr de décéder. [...]
[...] Cela se trouvait au niveau de la tête, des doigts, du nez, du filet de la langue. En effet, on comprimait la tête du nouveau-né avec des bandeaux qu'il gardait pendant très longtemps ou on me forçait à dormir dans une certaine position; on tordait régulièrement les doigts pour les assouplir; on tirait les narines; on coupait le filet de la langue. Les justifications de ces pratiques sont simples: on cherche à protéger l'enfant (le bandeau sur la tête pouvant faire office d'une sorte de casque, et dans ce cas la déformation est involontaire), à le faire correspondre à des idéaux esthétiques, à développer ses capacités (la tête allongée favorisait parait-il la mémoire et l'intelligence), et surtout on activait des symboles sexuels très importants (la tête allongée était un symbole phallique; on pinçait les bouts des seins des petites filles pour être sûr qu'elles pourraient allaiter plus tard). [...]
[...] De plus, la perte de l'enfant présentait un danger réel pour la mère, qui en perdant beaucoup de sang se trouvait considérablement affaiblie, et peut être marquée à vie par une faiblesse ou pire, la stérilité. On peut plus ou moins définir des périodes des conditions propices aux fausses couches: les périodes de disette (car alors, la mère est affaiblie), les mois de chaleur (car c'est l'époque des moissons et des travaux aux champs, des longues journées de dur labeur), les festivités trop longues et abondantes, le surmenage. Tous les milieux sociaux étaient donc touchés par le phénomène de la grossesse interrompue avant terme. Causes et responsabilité de la fausse couche? [...]
[...] Des rites à résonance païenne était parfois effectués en secret en parallèle du baptême, tel la roulade du nouveau né sur l'autel, afin de lui garantir une bonne mobilité et de prévenir d'éventuelles blessures. Finalement, le dernier passage de l'enfant, celui de l'entrée dans le cycle de la famille, ce faisait à travers le don du prénom. Les noms choisis étaient en général ceux de saints (à cause de l'insistance de l'Eglise), et également ceux des ancêtres, car cela marquait ainsi la régénération de la lignée. Ce patrimoine familial était aussi un symbole d'autochtonie à une région. [...]
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