Passer à l'Islam à l'époque moderne constitue pour l'Eglise un délit d'apostasie jugé par les tribunaux inquisitoriaux. Les traces de procès et les archives laissent apparaître l'histoire de millier de renégats repassés en chrétienté de leur plein gré ou par la force et qui ont dû comparaître devant l'Inquisition. Qui sont ces "chrétiens d'Allah" ? L'histoire des renégats, comme le soulignent les auteurs, est très mal connue. Le vide historiographique sur le sujet constitue un étrange silence sur un phénomène pourtant révélateur d'une époque tant dans sa dimension politique, qu'économique, sociale et religieuse.
Bartolomé et Lucile Bennassar dépeignent cette humanité multiple constituée de destinées particulières et brossent un tableau d'ensemble de l'identité et des parcours de ces renégats. Dans une première partie de l'ouvrage ils racontent six histoires particulières, puis ensuite une analyse du corpus de 1550 individus et une troisième partie constituée comme un essai d'interprétation de l'histoire des renégats. Quels chrétiens sont passés à l'Islam ? Selon quelles modalités, comment l'ont-ils vécu et quelles sont les raisons de leur retour en chrétienté ?
[...] Ce passage s'opère d'ailleurs souvent sous le signe de la force. -Prise de mer :La guerre de course, tout d'abord, fait un grand nombre de captifs. En effet, l'extraordinaire puissance navale des villes corsaires d'Afrique du nord de Salé à Tunis mais aussi de l'empire Ottoman font régner un climat d'insécurité permanent sur les mers (insécurité dans les deux camps, les chrétiens harcèlent aussi). La course fait des milliers de captifs vendus par la suite sur les marchés aux esclaves et nos auteurs estiment que la moitié des renégats doivent leur passage en Islam aux aventures de mer. [...]
[...] Les enfants constituent donc un enjeu idéologique important car tout en affaiblissant l'ennemi, il renforce la puissance turque. D'autre part, le corps d'élite de l'armée turque, les Janissaires, base son recrutement sur des enfants d'origine chrétienne enlevés et convertis. Ce système, qu'on appelle la Devchirmé -littéralement ramassage consiste en une levée périodique d'enfants chrétiens dans les pays conquis, qui sont convertis lors de cérémonies collectives et consacrées au service du Grand Turc. Ils sont choisis car sans famille, sans lien de parenté ni entre eux ni avec le peuple ottoman ; ils appartenaient au Prince dont ils tenaient tout Cette logique dans le choix des renégats est à rapprocher des décisions stratégiques des Turcs de ne pas vendre ou échanger les hommes qualifiés dont l'expérience et le savoir-faire peuvent être source d'intérêt et de profit ; comme les bons marins, les techniciens de l'armée. [...]
[...] A travers toute cette série de questions nous chercherons à comprendre qui sont ces chrétiens d'Allah et à dévoiler une histoire restée bien longtemps silencieuse. Pour cela, nous verrons dans une première partie quels sont les chemins menant à l'Islam, puis l'humanité multiple des chrétiens d'Allah pour enfin nous intéresser au vivre turc des renégats. Les chemins de l'islam Au XVIème et XVIIème siècles, des centaines de milliers de chrétiens renient la foi catholique pour devenir musulmans. Comment se fait ce passage ? [...]
[...] Les chrétiens d'Allah : des musulmans ? L'identité des renégats se fait plus précise mais comment comprendre la dimension de leur adoption de l'Islam ? Sont-ils devenus musulmans? Quel est le contenu de leur foi ? Étant donné qu'il est difficile de savoir comment a été vécu ce passage, il faut s'intéresser aux gestes et aux paroles qui consacrent la conversion et dont l'Inquisition a conservé des traces. Selon un modèle dominant, les chrétiens doivent, pour passer à l'Islam, prononcer une phrase en tenant l'index de la main droite levé : Il n'y a de Dieu que Dieu et Mahommet est son prophète (ou messager selon les traductions) Dans quelle mesure intériorisent-ils cette nouvelle foi ? [...]
[...] S'ils ne sont pas reconnus ou dénoncés, ces chrétiens d'Allah pris les armes à la main restent dans l'anonymat, espérant être rachetés par les musulmans. Le retour forcé révèle souvent un attachement profond sinon à l'Islam du moins à la condition de turc. Les circonstances amènent de nombreux chrétiens à revenir en Chrétienté. L'ambiance délétère des guerres fratricides qui ensanglante le Maroc de 1603 à 1612, à la suite la mort d'El Mansour, incite de nombreux renégats au retour. D'autres reviennent volontairement. [...]
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