Bartholomé Bennassar est spécialiste de l'histoire de l'Espagne moderne et contemporaine. Il a notamment publié Histoire des Espagnols, Franco, La guerre d'Espagne et ses lendemains. Sa femme Lucile est historienne. Ce livre aborde un thème négligé de l'histoire européenne, qui a concerné l'ensemble des peuples européens. Deux ouvrages précurseurs du bénédictin espagnol Diego de Haedo (1612) et du trinitaire français François Dan (1637) avaient souligné le rôle des renégats dans le monde musulman. Fernand Braudel les avait évoqués dans La Méditerranée et le monde méditerranéen de Philippe II (1949). Mais il n'existait pas d'étude d'ensemble. Cet ouvrage prend comme source les livres de l'Inquisition. Les archives ottomanes n'ont pas pu être consultées.
Les auteurs refusent le débat entre l'histoire sérielle et les case studies. Selon Michel Vovelle, « Un récit de vie, c'est très bien, jaillissant, bouleversant de nouveauté. Dix récits de vie, douze récits de vie : les récurrences apparaissent… ». Comme Annette Farge, auteur de La vie fragile. Violence, pouvoirs et solidarité à Paris au XVIIIe siècle (1986), Bartholomé et Lucile Bennassar combinent les deux approches.
La première partie retrace six destins, la deuxième analyse une série de 1 550 individus disséminés dans l'ensemble de l'Europe, la troisième traite de la double appartenance des renégats à la chrétienté européenne et à l'islam maghrébin ou ottoman.
[...] Guillaume Bedos ignorait les prières chrétiennes et n'avait aucun souvenir de confession. Il avait admis être turc et vouloir le rester. Les inquisiteurs cherchaient à l'amener quand même à l'abjuration. Le Saint- Office prononçait la peine capitale très rarement : envoyer un renégat au bûcher c'était à la fois une âme perdue et une défaite publique. Mais le prisonnier se rétracta et affirma être turc, fils de Turcs. Sa version ne variera plus jusqu'à l'autodafé de 1625. Pendant six ans, les juges menèrent l'enquête en Sicile, auprès des équipages des galères, en France, dans le Levant. [...]
[...] La plupart des cargaisons contenaient du blé, du poisson et du sel. Razzias et prises de guerre Les grandes razzias présentaient des traits communs : une flotte de conséquence ; la surprise ; la collaboration d'un ou de plusieurs guides connaissant le terrain ; des renégats originaires du pays concerné ; la chasse à l'homme menée sur plusieurs jours ; les négociations sur place une fois l'opération terminée ; un prélèvement important de femmes et d'enfants. Elles frappaient fréquemment les îles Canaries, notamment Lanzarote qui perd habitants entre 1569 et 1650. [...]
[...] Au bout de quelques mois, son maître Yusef l'envoya en course. L'équipage de son navire fut chargé d'escorter un bateau français chargé de morue, mais ils furent pris en chasse par des corsaires chrétiens. Juan Rodelgas se rendit ensuite à Salé avant de s'embarquer sur le bateau d'un renégat flamand, Morat raïs. Lors de l'expédition, il s'évada et se rendit à Las Palmas pour avertir le gouverneur de la présence des corsaires en dissimulant sa conversion. Déféré devant le Saint-Office, il fut d'abord relâché, car sa circoncision avait été mal faite. [...]
[...] Les paroles d'adhésion à l'Islam étaient souvent prononcées par le maître et les témoins. Les enfants étaient souvent partagés entre les deux religions, notamment les Grecs. La loi musulmane ne permettait pas qu'on sépare un enfant esclave de sa mère avant qu'il ne perde ses dents de lait. Dans ce cas, les enfants restaient au contact de la foi chrétienne, même après avoir renié. Les enfants de la devchirmé* Aux XVe et XVIe siècles, les janissaires étaient des enfants chrétiens enlevés à leurs parents, convertis à l'Islam lors de cérémonies collectives et destinés à devenir des soldats du sultan. [...]
[...] Les pratiques sont mieux connues : çala* (prosternations), guadoc* (ablutions), ramadan, prières et invocations. Une foi originale ? La confrontation des deux religions a pu rendre certains des renégats plus tolérants, voire leur suggérer l'idée de l'égalité des religions monothéistes. Ainsi, le Catalan Guillen Cerda déclara : Le bon More se sauve dans sa loi et le bon chrétien dans la sienne ; le mauvais chrétien et le mauvais More s'en vont en enfer Chapitre 5 Les nostalgiques Plus de la moitié des individus composant notre échantillon sont revenus volontairement en Chrétienté. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture