Sciences humaines et arts, Michel Duzet, Anthropologie et Histoire au siècle des Lumières, première partie, découverte du Nouveau Monde, mythe du bon sauvage, idéologie coloniale, civilisation amérindienne, question de l'âme des Amérindiens
Michel Duchet détaille la formation de son projet, avec l'influence de deux méthodes dans ce livre : historique (partie 1) et structurale (partie 2). L'idée initiale était d'étudier le mythe du bon sauvage, de Montaigne à Raynal. Immédiatement s'est trouvée posée la question de la réalité de l'homme sauvage et surtout de son appréhension "par la pensée chrétienne ou la libre pensée d'une fonction mythique", d'un "primitivisme militant". Ainsi, les chrétiens essaient de concilier la découverte de ces peuplades sauvages avec les saintes écritures (les sauvages du Nouveau Monde seraient les fils de Japhet, de Cham ou des descendants de Caïn, sont donc aptes à être évangélisés).
"Mieux, les missionnaires inventent les "bons sauvages", dont ils opposent les vertus naturelles et la simplicité à la détestable corruption des Européens".
"À l'inverse, humanistes et libertins voient dans ces peuples qui vivent sans lois, sans rois, sans prêtres, sans tien ni mien, et qui sont heureux et vertueux, la preuve de la supériorité d'une morale naturelle, fondée en instinct et en raison". Certains peuples étaient, selon les premiers récits de voyage, athées. Ils prouvent ainsi l'existence, non pas d'un "instinct divin qui, selon le père Acosta, préparait les âmes du Nouveau Monde à la révélation et à la prédication", mais d'"un instinct naturel qui permettait à des peuples privés des lumières de la véritable religion de distinguer le bien du mal et d'avoir une conduite morale". Dès lors, "l'éloge des bons sauvages, entonné pour la plus grande gloire de Dieu, se retournait contre leurs imprudents laudateurs".
[...] A l'origine, l'anthropologie est la branche d'anatomie s'attachant à l'étude du corps humain (selon Diderot). Le terme prend le sens de « science générale de l'homme » en 1788 avec l'ouvrage d'un certain Chavannes, Anthropologie ou science générale de l'homme. Pour pouvoir prétendre à une science générale de l'homme, il fallait considérer que la collecte des faits sur l'homme était achevée, ainsi que l'espace humain dans lequel ils se situaient. Etait-ce le cas ? Les premiers « ethnologues » ne l'étaient pas au sens scientifique du terme, puisqu'ils ne firent pas « abstraction de leur propre société, de leurs habitudes ou de leurs préjugés. [...]
[...] De l'Histoire naturelle de Buffon, Duchet ne retient que le nom de Jussieu. Commerson, naturaliste qui peut être considéré comme le premier anthropologue : « c'est l'esprit même de la science de l'homme qu'il entend fonder, et qui associe étroitement anthropologie physique (taille, figure et couleur) et anthropologie culturelle (usages, habillement, armes), c'est enfin sa conception de l'espèce humaine, une et diverse, modelée par l'influence du climat ». Commerson fut la référence majeure pour la description de tous les peuples n'appartenant pas au « paysage familier ». [...]
[...] Les missions scientifiques, qui s'appuient sur cette littérature pour avoir un aperçu des us et coutumes locaux, ne parviennent à rectifier les vieux imaginaires déjà ancrés dans les représentations européennes du Nouveau monde. Germent rapidement des projets de civilisation des Indiens. La connaissance très vague que les Européens ont d'eux contraste avec leur ambition de tout savoir de leur nombre et de leurs mœurs. L'Afrique Intérêt pour l'Afrique seulement à partir d e1763 (pourquoi précisément cette année-là Les ressources très nombreuses qui y dorment, ainsi que le besoin pour les Français d'acquérir leur empire colonial propre, loin de la rivalité anglaise et ibérique, génère un regain d'intérêt. [...]
[...] Quel est donc ce paysage familier ? II- UN PAYSAGE FAMILIER. « En dépit de l'éloignement et de son immensité, l'Amérique des conquistadors et des jésuites est la plus proche des imaginations : il suffit de relire Candide pour s'apercevoir que l'on ne change plus de monde en changeant de continent : l'empire colonial des Espagnols et des Portugais, le réseau des commanderies et des missions ont donné aux Indiens un statut uniforme qui estompe les différences ethniques et linguistiques ». [...]
[...] L'anthropologie de Buffon est la parfaite illustration de cette vision européo-centrée : à sa suite, « toute l'anthropologie des Lumières concourt à faire de l'homme civilisé l'être le plus intéressant de la création ». Le sauvage est présenté comme une dégénérescence de l'humanité du fait du milieu hostile dans lequel il évolue, quand l'homme européen « a relevé les défis de la nature et s'en est rendu le maître ». Buffon affirme, en s'appuyant sur des arguments d'apparence scientifique, la supériorité de la race blanche dans les climats tempérés. [...]
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