L'Espagne du long Siècle d'or a su construire un empire improbable, multiple et éclaté, sur lequel « le Soleil ne se couchait pas ». Un grand dessein politique s'est formé, qu'une dynastie chanceuse et avisée a pu conduire grâce au dynamisme d'un peuple : malgré distance et disparités, la monarchie hispanique a établi et maintenu une maîtrise que les puissances rivales (France, Angleterre, Empire ottoman et plus tard Pays-Bas) ont longtemps dû admettre. En deux siècles, les Habsbourg d'Espagne, de Charles Quint à Philippe IV, ont réalisé un double modèle, politique et culturel, dont on ne mesure pas l'originalité, l'ingéniosité et la force. Etudier le Siècle d'or espagnol, c'est décrire et mettre en perspective ce moment privilégié où « la force donne rendez-vous à l'esprit, la puissance à la culture, en des mélanges qui ne sont jamais les mêmes » (Fernand Braudel).
Il avait fallu une cascade de morts prématurées pour que Charles de Gand réunisse sous un même sceptre les Etats, prodigieusement disparates, qui formèrent cet empire. L'empereur Maximilien eût fait un candidat plus probable à l'élection impériale que Charles. Il ne s'agit pas de prétendre que l'empire de Charles Quint fut le produit d'une somme de circonstances purement fortuites. La stratégie matrimoniale des Rois Catholiques était le symptôme visible de leur force, de l'expansion de la péninsule dont les armées effacèrent le royaume musulman de Grenade, conquirent une partie de l'Italie, dont les marins et les coureurs d'aventure inventèrent l'Amérique.
Mais, demeure une évidence. Le jeu de construction qui produit, de 1516 à 1519, des effets cumulatifs extraordinaires est le fruit d'une somme de variables. L'empire qui éclôt n'avait été ni préparé ni concerté comme tel. De surcroît, cette construction diplomatique n'avait pu ni prévoir l'irruption bouleversante de la Réforme ni mesurer sans doute la force mentale de l'Empire ottoman. De sorte que l'empire de Charles Quint dut s'organiser dans l'urgence, concevoir un système politique capable de fonctionner, mettre au point un système de défense, associer des hommes de traditions et de cultures différentes.
L'Espagne était, il est vrai, mieux préparée d'une certaine façon que d'autres pays à ce rôle de fédérateur de puissances. Elle avait pris de l'avance dans la réforme de l'Eglise, certes incomplète, mais qui la mit à l'abri des ruptures profondes d'Allemagne, de l'Europe centrale, des Pays-Bas, voire de France, et qui, surtout, libéra l'élan missionnaire des ordres religieux, disponibles pour de grandes aventures. Sur le front du royaume de Grenade et sur les champs de bataille italiens, les capitaines espagnols, comme Gonzalve de Cordoue, avaient forgé un instrument militaire de grande valeur, résolument moderne avec les avantages décisifs des armes à feu. Qui plus est, les Rois Catholiques avaient fait des Espagnes un espace pacifié en mettant à la raison des grands seigneurs rebelles, en associant à la haute noblesse dans le gouvernement du pays la gente mediana, petits nobles ou bourgeois instruits des lois civiles et du droit canonique, dont ils avaient fait leurs letrados. Ils avaient pris les grands moyens en lançant sur les routes une police impitoyable, la Santa Hermandad, qui châtiait dans l'instant les grands délits. Ils avaient de manière brutale éliminé les minorités religieuses, juives et musulmanes, naguère sources de créativité culturelle mais désormais mal acceptées par la majorité chrétienne. Enfin, malgré le rejet apparent des cultures minoritaires, l'Espagne était alors un foyer de création artistique et intellectuel puissant, servi par une langue déjà majeure, mais accueillant aux influences étrangères, flamandes, rhénanes et italiennes.
Jeu de construction dont on mesure peut-être mieux aujourd'hui la modernité politique, qui sut éviter les pièges du centralisme en conservant les institutions emblématiques de chacun des Etats de cette monarchie plurielle, et qui put compter pendant plus d'un siècle sur une armée puissante et une monnaie forte. Mais, il demeurait un édifice fragile car il ne disposa jamais des instruments indispensables à la survie des empires nés de l'économie-monde : une banque d'envergure internationale au service de l'Etat, un groupe cohérent d'hommes d'affaires et d'entrepreneurs capable de composer avec le pouvoir à l'image de celui qui faisait alors la force des Pays-Bas et de Venise
[...] Tous les confrères devaient être fortunés afin de mieux se consacrer à leur mission. L'exemple de la Charité sévillane est exceptionnel et remarquable car on a calculé, qu'entre 1661 et 1679, les confrères avaient dépensé un million de ducats, somme considérable, en secours et travaux. La communauté, la paroisse étaient des cadres tout aussi opératoires que la confrérie, en particulier dans le monde rural. L'amour de la patria chica que les Espagnols ne cesse de cultiver était bien présent dans l'Espagne du XVII° siècle. [...]
[...] Le commencement de la fin. - De la décadence à l'effondrement Les souverains espagnols ou les membres de leur entourage n'ont cessé de recevoir au XVII° siècle suppliques, lettres, mémoires attirant leur attention sur les défauts du système les Cortes étant l'une des tribunes privilégiées des inquiétudes du temps. L'époque la plus remarquable de cette tradition est indéniablement la fin du XVI° et la première moitié du XVII° siècle qui vit une floraison de propositions formulées par des conseillers spontanés cherchant à remédier aux problèmes que connaissait le pays. [...]
[...] Ainsi, peut-on paradoxalement affirmer que la civilisation espagnole des XVI° et XVII° siècles fut éminemment urbaine. Le nombre d'habitants vivant à l'intérieur des villes était proportionnellement beaucoup plus élevé dans les possessions de la monarchie catholique que dans les autres Etats européens. A la fin du XVI° siècle, cent localités de la couronne de Castille comptaient plus de cinq mille habitants et abritaient 21% de l'ensemble de la population (et bien entendu ce seuil de cinq mille est un minima arbitraire : la couronne d'Aragon était moins urbanisée que sa voisine puisque les douze cités de plus de cinq mille habitants ne regroupaient qu'environ 15% de la population, mais ce taux reste légèrement supérieur à ceux de l'Angleterre et de la France). [...]
[...] Les marchés au poisson sont généralement approvisionnés, même au cœur de la Castille. Celui de Tolède propose du merlu, de la morue, du thon, du congre, des harengs, vendus séchés ou remojados, càd trempés, et aussi en escabeche (marinade vinaigrée).les villes disposaient de 20 à 30 kilos de viande par an par habitant ! Les zones rurales recevaient aussi le part de poisson séché ou même de sardines fraîches Système imparfait sans doute, fertile en conflits, mais les populations urbaines d'Espagne ont presque toujours mangé à leur faim, ce qui explique la rareté des émeutes de la faim jusqu'aux fractures du milieu du XVII° siècle, lorsque, précisément, le système fait faillite. [...]
[...] Autre explication : après 1575, la fiscalité royale, jusqu'alors modérée, augmente fortement. Les villes, qui réalisaient des bénéfices dans la perception des alcabalas ou d'autres impôts, avec lesquels elles pouvaient réaliser des achats coûteux de denrées alimentaires, et surtout de grains, ne peuvent plus les financer. La sécurité alimentaire disparaît alors ; les producteurs n'obtiennent pus, en année difficile, de prix aussi élevés que par le passé. Ils ne peuvent plus soldés leurs dettes et soumis eux-mêmes à une fiscalité aggravée, sont parfois obligés de vendre ou d'abandonner leurs terres. [...]
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