Walter Raleig accusait la reine Elisabeth Ière de « toujours faire les choses à moitié ». Qu'en est-il de la question religieuse ? La reine semble fidèle à elle-même, puisque ses croyances théologiques ont toujours été difficiles à cerner. Mais cette imprécision chronique, ce refus de choisir, plus ou moins évidents de 1558 à 1603, révèlent bien moins l'incompétence de la souveraine que la force de son règne. La Réforme en Angleterre n'est plus tout à fait ce courant religieux suscité par les écrits de Luther à partir de 1520 en Allemagne, par ceux de Zwingli en Suisse et de Calvin en France : ce mouvement de renouvellement de l'Eglise prend une forme spécifique : l'anglicanisme. D'un côté, la Réforme anglaise semble paradoxalement marquer un véritable choix, une véritable décision de la part d'Elisabeth. Mais en réalité, et contre toute apparence, il ne s'agit pas d'une réelle rupture : Elisabeth s'inscrit comme l'héritière d'un mouvement longuement préparé par les tâtonnements des règnes précédents. La Réforme n'est pas un retournement soudain et inexpliqué de la situation religieuse en Angleterre ; elle est au contraire mûrement pensée depuis Luther. C'est donc d'abord ce mouvement qu'est la Réforme, constitué de multiples réflexions, tensions et oppositions, que l'on se doit d'analyser pour expliquer son point d'orgue et sa concrétisation sous Elisabeth Ière. La Réforme protestante est, d'un autre côté, l'affirmation de cette indécision élisabéthaine, puisqu'elle se trouve être un des moyens de glisser vers un compromis entre calvinisme et catholicisme. Après la tentative amorcée de Marie Tudor de réinstaurer la religion catholique et de renouer avec le Pape, Elisabeth Ière prend le contre-pied de sa demi-sœur et amène la constitution définitive de l'Eglise anglicane : église chrétienne, catholique et réformée.
[...] Marie Stuart incarne tous les dangers aux yeux des protestants britanniques : elle est l'héritière du trône d'Angleterre tant qu'Elisabeth ne se marie pas. Sa présence sur le sol anglais et les nombreux complots qu'elle coordonne, visant à remplacer Elisabeth, comme celui de Ridolfi en 1570, ou celui de Throckmorton en 1583, poussent Elisabeth à réagir. En 1586, Marie Stuart se laisse piéger lorsqu'elle accorde son appui au complot d'Anthony Babington, dans une lettre saisie par les services de renseignements de Walsingham. [...]
[...] La Réforme est d'abord le fruit d'un mouvement et d'un héritage complexes qui amène à s'interroger sur la position qu'adopte Elisabeth, lors de son arrivée sur le trône, en 1558. Elisabeth Ière hérite en effet d'un passé religieux extrêmement diversifié. Son père, d'abord, est caractérisé par son ambivalence religieuse, puisqu'il a changé de position trois fois durant son règne, ce qui n'est pas négligeable, quand on sait que la religion du souverain fait celle de la nation C'est en 1534 qu'Henri VIII décide de rompre avec la Papauté, en partie à cause du refus de Clément VII d'annuler son mariage avec Catherine d'Aragon. [...]
[...] S'ajoutent à cette contre-réforme interne les oppositions venant de l'extérieur. Elles sont aussi bien religieuses (le Pape), politiques (Marie Tudor) que militaires (guerre conte l'Invicible Armada espagnole en 1588). Parce que les entreprises religieuses d'Elisabeth dépassent sans conteste le domaine religieux, on observe, à travers ces diverses contestations de l'anglicanisme, une Réforme qui s'intensifie, qui se fait de plus en plus présente, qui se concrétise par le biais des avertissements, des armes et des lois. On passe d'une politique religieuse modérée à une politique de plus en plus sévère, menée au nom de l'unité du pays. [...]
[...] Il y a un intérêt nouveau pour les textes religieux et la raison est mise au service de la religion. Finalement, les influences protestantes directes jouent leur rôle : de 1518 à 1521, l'imprimerie permet la véhiculation d'écrits. Tyndale est le premier à diffuser les idées de Luther à l'étranger. Cet ancrage historique a permis une meilleure acceptation de la Réforme et montre la mouvance du processus : la Réforme n'est pas une rupture, elle entre en continuité logique avec le passé. [...]
[...] Mais d'autre part, elles sont ce qui explique la Réforme comme un processus permanent de formation, déformation et reformation. Finalement, la Réforme est loin d'être synonyme de religion réformée puisqu'elle implique un processus continu et permanent dans le cours de l'histoire. Elisabeth Ière vient donc s'y inscrire comme celle qui a succédé à son père en concrétisant les valeurs fondamentales de l'Eglise anglicane. Ainsi retrouve-t-on les paroles de Walter Raleig : une femme qui joue sur l'apparence des choses, pour multiplier leurs interprétations et ainsi s'accaparer l'adhérence de la majorité de son peuple à une religion. [...]
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