La bataille de Tarain, en 1192, qui signe la victoire de Qutb al-dîn AYbeg sur les roitelets hindous marque l'établissement progressif du Sultanat de Delhi : c'est la première datation d'un pouvoir musulman dans le sous-continent indien, qui devra durer plusieurs siècles. Les nouveaux souverains de la plaine gangétique importent avec eux les traditions de leur province du Khorassan (actuel Afghanistan) : Mû'in al-dîn Chisti, fondateur de la confrérie soufie des Chistis (la Chistiyya, du nom du village d'Afghanistan d'où ils sont issus), arrive en Inde en 1192 et s'établit à Ajmer.
Le soufisme est une branche ésotérique de l'Islam, caractérisée par la recherche d'un état spirituel permettant d'accéder à la connaissance cachée de la réalité. Les soufis se sont organisés en confréries (tariqa), fondées par des maîtres spirituels (shaikh en arabe, pîr en persan – terme davantage utilisé en Inde) considérés comme des descendants directs du Prophète, et jouant donc le rôle d'intermédiaire entre Allah et les dévôts.
Ils s'installent dans des khânqâhs (lieux de réunion et de culte) où ils reçoivent leurs disciples, plus fréquemment appelés aujourd'hui dargâh, terme persan signifiant littéralement le « seuil » de la maison d'un supérieur, désignant ici respectueusement l'ensemble du sanctuaire, c'est-à-dire les lieux de réunions et le tombeau du saint. Chaque soufi se rattache à une confrérie, une lignée (silsilah) qui représente sa généalogie spirituelle, grâce à laquelle il est relié au Prophète.
Plusieurs confréries se sont développées en Inde, mais la Chistiyya est celle qui a connu, de loin, le plus grand essor sous le Sultanat de Delhi entre le XIIe et le XVIe siècle (puis sous l'Empire moghol entre 1526 et 1765). C'est donc à elle que nous nous intéresserons plus spécifiquement pour tenter de comprendre quelles étaient les relations qu'elle entretenait avec les souverains : était-ce le pouvoir temporel qui dirigeait le pouvoir spirituel, ou l'inverse ? Comment expliquer que la Chistiyya fut la confrérie dominante sous le Sultanat tandis qu'elle a la réputation de fuir les relations avec les souverains ?
[...] Le fait qu'ils choisissent de rester éloignés du pouvoir et de vivre des vies ascétiques contribue à cette aura. Par ailleurs, ils sont connus pour rechercher l'inspiration mystique par l'intermédiaire de la musique et du chant. Ils organisent par exemple des sama, réunions de chants mystiques devant rapprocher le dévot de dieu. D'autres moyens concourent à l'expression de la vénération des saints : le dhikr et la qavvali sont tous deux destinés à faire ressentir aux soufis le sentiment de l'unicité avec dieu. [...]
[...] Ceci grâce au charisme des saints d'une part, à leur influence morale et spirituelle, mais aussi grâce au relais de leurs enseignements par de grands lettrés à une époque où le Sultanat était en pleine expansion. Et encore parce que leurs croyances, leurs pratiques et leurs rituels furent davantage que ceux d'autres confréries adaptés au peuple indien, aux musulmans comme aux hindous et qu'ils ont su toucher l'ensemble de la population. Bibliographie Hanif, N. Biographical Encyclopaedia of Sufis (South Asia). Ed. [...]
[...] Comment les Chistis ont-ils obtenu cette position dominante sous le Sultanat de Delhi ? Position qui a ensuite contribué à la grande influence des lieux saints qui leur sont attribués (tombes etc.) dans l'Inde d'aujourd'hui. Les premiers maîtres soufis arrivés en Inde bénéficient tout de suite du soutien de la population car ils revendiquent des valeurs humanistes d'entraide et de sympathie envers toutes les classes sociales et toutes les religions. Ainsi, Mu'în al-dîn Chisti est très vite surnommé Gharîb Nawâz le Protecteur des Pauvres car selon lui la plus haute forme de dévotion est la compassion et l'aide envers les plus pauvres et les plus démunis.[13]Comme lui, ses successeurs prêchent l'amour d'autrui. [...]
[...] Librairie d'Amérique et d'Orient, Paris p. 147-149. N.Hanif, op.cit. N. Hanif, op.cit., p.218-219. S.Digby, op.cit., p. Iqtidar Husain Siddiqui, op.cit. p.1 [13]S.A.I. Tirmizi, op.cit. [...]
[...] E.J.Brill, Leiden Pg 25v Schimmel Anemarie, Le Soufisme ou les dimensions mystiques de l'Islam. Les Editions du Cerf Paris. Troll Christian, Muslim Shrines in India. Their Character, History and Significance. Ed. Oxford University Press, New Delhi Troll Christian, Islam in India. Ed. Vikas Publishling House PVT LTD, New Delhi Articles Digby Simon, The Sufi Shaikh as a source of authority in mediaeval India, Purusârtha, vol Gaborieau Marc, Pouvoir et autorité des soufis dans l'Himalaya, dans Prêtrise, pouvoir et autorité en Himalaya, Purusârtha, vol Gaborieau Marc, Un sanctuaire soufi en Inde : le dargâh de Nizamuddin à Delhi. [...]
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