Alors que la noblesse a été jusqu'alors exemptée d'impôt, le régime d'exception nobiliaire prend fin avec l'instauration de la première capitation (par la lettre patente du 18 janvier 1695). Cet impôt se veut d'abord exceptionnel : sa mise en place doit avant tout permettre de collecter plusieurs millions de livres, nécessaires au financement la guerre de Neuf Ans (1688-97). La capitation effectue alors une hiérarchisation de la population, alors divisée en 22 classes ; cet ordre fait du prestige social son principal critère de classification. Octobre 1697 voit la signature du traité de Ryswick, qui met fin à la guerre de Neuf Ans ; la capitation, devenue caduque, est suspendue.
L'impôt est réintroduit en 1702, afin de financer cette fois la Guerre de Succession d'Espagne (1701-1714), opposant la France et l'Espagne à une coalition européenne, opposée à la montée sur le trône d'Espagne de Philippe V (en 1700), petit-fils de Louis XIV. Le montant de l'impôt est réparti entre les différentes généralités, dont les intendants sont chargés de sa collecte auprès de la population. La capitation était collectée par les tailles. Cet impôt est donc calculé par localités (un tel système pouvant ainsi induire une inégale répartition de la taxation, indépendamment de sa densité de population), elles-mêmes divisées en feux, ou, plus exactement, une famille habitant sous le même toit. Le montant de l'imposition dépendait alors de la valeur des biens possédés par le chef de famille. Aux tailles pouvait s'ajouter l'ustensile, qui dispense la famille qui s'en acquitte de loger les gens de guerres ; l'impôt pouvait en outre servir à financer la fourniture des armes aux soldats.
Ce document nous offre un témoignage de la collecte de l'impôt dans la région du Toulousain, en la petite seigneurie de la Couladère (à environ 60 kilomètres au Sud de Toulouse) en 1709. Cette lettre du seigneur de la Couladère est adressée à Nicolas Desmarets (1648-1721), contrôleur général des finances depuis 1708. Dans ce document, l'auteur nous fait part des difficultés qu'il rencontre dans le paiement de l'impôt, aussi demande-t-il au Contrôleur général des finances de bien vouloir lui accorder un délai supplémentaire pour son acquittement. Au XVIIème siècle, les lettres sont une pratique courante (et caractéristique) de la noblesse, à laquelle leur auteur porte un grand soin : on y donne en effet une image de soi aussi convient-il de faire de sa correspondance le reflet de ses vertus. De plus, la recherche du mot juste et la maitrise de la stylistique tiennent une place importante dans la rédaction de la lettre nobiliaire. Or l'on constate ici que le style dans lequel écrit le seigneur de la Couladère est peu travaillé ; de plus, le document ne semble pas suivre de plan précis, rendant l'enchainement de l'argumentation de l'auteur confuse. On trouve l'explication de cette particularité dans le fait que la noblesse campagnarde, à laquelle appartient Monsieur de Couladère, bien que lettrée, est dans sa grande majorité peu cultivée, contrairement à la noblesse « des villes ».
Aussi, on peut s'interroger sur la portée de ce document pour la compréhension du particularisme de cette noblesse campagnarde par rapport à sa sœur citadine ; ainsi, si l'on observe que cette dernière semble connaître une aisance plus ou moins réelle, le gentilhomme campagnard semble au contraire mener une vie bien plus dure (Partie I). La démarche entreprise par Monsieur de la Couladère trouve alors son sens : le crédit accordé par le roi dans le règlement de l'impôt ne serait que justice rendue face à une situation perçue, on le verra (Cf. infra : II. B), comme étant injuste (Partie II).
[...] comme étant injuste (Partie II). I. La dure vie d'un gentilhomme campagnard Monsieur de Couladère explique que les origines de ses difficultés financières sont de deux sortes : tout d'abord, elles sont imputables aux mauvaises récoltes de ces dernières années, récoltes dont dépend la quasi- totalité des revenus de la famille (Partie ; ensuite, la famille doit faire face à un déficit déjà ancien (Partie B). Des revenus avant tout dépendants du produit de la terre Bien qu'il n'y soit pas fait ici allusion, une partie des revenus d'un gentilhomme provient des impôts que celui-ci a la possibilité de lever sur son domaine. [...]
[...] Vous savez que nous ne pouvons pas aller travailler, pour gagner notre vie la journée, sans commettre dérogeance. Je crains que nous ferons bien des jeûnes à pain et à eau ; je ne sais s'il y en aura guère de meritoires. Enfin, notre misère fait pitié, de voir des gens de qualité comme nous réduits dans une extrémité si grande. Source Lettre de Monsieur de Couladère, de son domaine de Justinhac, au Contrôleur général des finances, le 12 août 1709, D'après A. de BOISLISLE. [...]
[...] C'est alors un traitement semblable que Monsieur de Couladère souhaite obtenir pour l'année 1709. Aussi s'est-il adressé par deux fois à l'Intendant, qui, bien que lui ayant répondu, n'a pu donner suite à sa requête. Aussi Monsieur de Couladère préfère s'adresser directement au Contrôleur Général des Finances. Enfin, bien qu'il ne le soit pas dit clairement, Monsieur de Couladère laisse entendre que l'Intendant, chargé de la répartition de l'impôt parmi les généralités, n'aurait pas tenu compte de la situation particulière de la Couladère. [...]
[...] Correspondance des contrôleurs généraux des finances avec les intendants des provinces, Paris, 1874-1895. t. III. pp et suivants. [...]
[...] Aussi constate-t-on que la quasi-totalité des revenus de la famille de la Couladère dépendant du produit de ses terres. Sa propriété, aux proportions modestes, est située sur les bords de la Garonne. Dans sa lettre, Monsieur de la Couladère nous renseigne sur la nature de son exploitation agricole : celle-ci se porte d'abord sur la culture céréalière, de blé et de millet. Le domaine de la Couladère comprend également un verger, où l'on trouve, entre autres, des figuiers et noyers, mais aussi un petit vignoble. [...]
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