Les plages européennes n'ont pas toujours attirées les foules comme aujourd'hui. Au contraire, les populations étaient, à l'époque classique, répugnées par la mer. Au tournant du 18ème et du 19ème siècle, émerge une nouvelle attitude "spectatoriale" à l'égard du monde.
Le passage du code esthétique classique à celui du sublime engendre une révision générale des manières d'apprécier les espaces illimités. Autrefois objet de répulsion, la mer mais aussi la montagne, la forêt, sont désormais perçues comme belles et comme sources d'émotions nouvelles.
L'émergence d'un désir du rivage en Occident est également imputable aux découvertes scientifiques sur les bienfaits de l'air marin et de l'eau de mer sur la santé physique et mentale, pour lutter contre le spleen et la mélancolie, et aux pratiques nouvelles d'exploration de la nature. Fuyant la pathologie urbaine, le promeneur curiste se fait ainsi l'ancêtre du touriste (...)
[...] Le récit de la création et celui du déluge colorent chacun de traits spécifiques l'imaginaire collectif. La Genèse impose la vision du Grand Abyme lieu de mystères insondables, masse liquide sans repères, image de l'infini et l'insaisissable sur laquelle flottait l'esprit de Dieu. Une étendue qui, pour l'homme, est terrible, puisqu'il pense cet élément indomptable manifeste l'inachèvement de la Création et le désordre antérieur à la civilisation. L'océan, ses grondements, ses mugissements, ses colères abruptes, sont perçus comme autant de rappels de la faute des premiers hommes, voués à l'engloutissement. [...]
[...] Ce mode d'appréciation des rivages de la mer suppose un engagement sensuel de tout l'être attentif au moindre souffle de brise. C'est bien autre chose que le simple fait de voir la mer qui émoustille l'aristocratie européenne, spectatrice assidue des marines de Salon. Sur le rivage de la mer s'élabore un modèle de pratique de soi qui succède ou se juxtapose à celui de la retraite rustique. La ruée vers les rivages ne s'explique pas seulement par la fascination des brillants plaisirs. [...]
[...] Ces voyages duraient parfois plus d'un an, souvent en compagnie d'un tuteur. Ils devinrent une pratique normale, voire nécessaire à une bonne éducation. Le voyageur doit enregistrer ses émotions sur de petits carnets de notes, cette mise en mémoire permettra l'édition du voyage pittoresque, aboutissement de l'entreprise. Cette harmonie suscite chez le lecteur le désir de reproduire ces mêmes voyages. Goethe, dans la campagne romaine, par Tischbein. Richard Lassels, écrivain anglais, met l'accent sur le côté artistique du voyage dans son ouvrage A complete journey through the Italy. [...]
[...] L'attrait nouveau pour les choses de la mer se double d'une curiosité neuve du public. Cette époque inaugure une sensibilité au pittoresque de la mer que la mode du yachting, la multiplication des régates contribue à diffuser. Déjà s'esquisse la pénétration de ces expériences collectives par les plaisirs des classes dominantes. Parallèlement à l'essor du yachting, s'organisent des réunions hippiques qui transforment la plage en champ de courses. Le spectacle des riches installés à l'hôtel des bains, dont ils aiment à contempler les gestes, les mimiques et jusqu'aux grimaces, suscite de nouveaux désirs chez les petits pêcheurs et de nouvelles envies chez leurs femmes. [...]
[...] Les facteurs d'un changement culturel Dès le 17ème siècle, un renversement s'inaugure et autorise un nouveau regard. Grâce aux progrès réalisés en Angleterre par l'océanographie, les mystères de l'océan s'estompent en même temps que l'histoire mentale de l'Occident. Surtout après l'attention portée par un groupe de poètes baroques à la féerie marine, trois phénomènes préparent, dès lors, la mutation du système d'appréciation : les chants idylliques des prophètes de théologie naturelle, l'exaltation des rivages féconds de la Hollande, et la mode du voyage classique sur les bords lumineux de la baie de Naples. [...]
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